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Epreuve facultative de Musique

Session 2005

XIVème QUATUOR à Cordes en ut # mineur opus 131

Ludwig van BEETHOVEN

ANALYSE DE L’ŒUVRE

Sommaire

               Introduction : caractéristiques générales du Quatuor opus 131

        1-       Genèse de l’œuvre

        2-       Unité de la pièce : éléments analytiques

        a)  analyse des six premiers mouvements

        b)  construction de l’unité de l’oeuvre

        3-       Analyse détallée du 7ème mouvement

        Conclusion

 

 

 

 

Introduction : caractéristiques générales de l’opus 131

Tonalité : ut # mineur

Il comprend sept mouvements (ou 5, ou bien encore 6 selon certains exégètes qui tiennent compte de la brièveté des 3ème et 6ème mouvements et qui les relient aux mouvements qu’ils précèdent) :

 

1. Adagio ma non troppo

2. Allegro molto vivace

3. Allegro moderato

4. Andante

5. Presto ma non troppo

6. Adagio

7.Allegro quasi andante

Ut # mineur

Ré majeur

Si mineur

La majeur

Mi majeur

Sol # mineur

Ut # mineur

4/4

6/8

4/4

2/4

2/2

3/4

2/2 (C barré)

Fugue

Structure pseudo répétitive

Forme improvisée

Variations

Scherzo

 

Forme sonate

 

Période de composition : de décembre 1825 (premières esquisses) à juillet 1826.

Dédié au baron von Stutteheim ; édité chez Schott (Mayence) en avril 1827.

 

 

 

1- Genèse de l’œuvre

N.B. : on trouvera une genèse plus complète de l’œuvre dans le document annexe : « Les derniers quatuors de Beethoven ».

C’est en fait l’avant dernier des quatuors de la fin de la vie de Beethoven ; il vient juste après l’opus 130, qui contient initialement en mouvement conclusif la grande fugue (opus 133).  La composition des tout derniers quatuors intervient ainsi juste après que le compositeur ait honoré la commande de trois quatuors par Galitzine. En fait, les deux dernières années de sa vie sont presque intégralement consacrées à la composition de quatuors à cordes.

Esquissé dès décembre 1825, il est véritablement rédigé en mars 1826 et achevé en juillet de la même année, comme l’atteste une lettre datée du 12, jointe au manuscrit envoyé à son éditeur – Schott - de Mayence. Sur ce document, il note « Volés de ci de là, et recollés ensemble », comme pour dire qu’il serait fait « de pièces et de morceaux »[1]. Beethoven affirmait, dans les derniers mois de sa vie, qu’il le considérait comme son meilleur quatuor.

 

 

 

 

2- Unité de la pièce : éléments analytiques

        La partition comprend sept mouvements conçus pour se jouer pratiquement sans interruption. Elle semble construite d’un seul bloc tant se révèlent les lien harmoniques et surtout rythmiques puissants qui en assurent l’unité. Les troisième et sixième mouvements peuvent ainsi être considérés comme de simples transitions, des introductions aux mouvements essentiels que sont l’Andante à variations et l’Allegro final. L’unité thématique est assurée par un motif de quatre notes, proche, sinon commun de surcroît, aux deux quatuors précédents opus 130 et 132 :

 

 

 

 

       

 

        L’évolution tonale des mouvements se fait par progression de quintes – ut # pour les mouvements extrêmes, ré, la et mi majeur pour les trois mouvements internes. Concernant la forme globale de l’œuvre, ce qui frappe surtout est le bouleversement, le renversement même de l’organisation traditionnelle : l’opus 131 commence en effet par une fugue – là où se terminait l’opus 132 et finit sur un allegro de forme sonate… Beethoven semble ainsi , avec ce quatuor, prendre définitivement congé de la logique classique de construction.

 

 

 

 

a) Analyse des six premiers mouvements

1er mouvement : Méditation mélancolique [2]

        « La chose la plus mélancolique que la musique ait jamais exprimée »[3] Une grande sérénité d’écriture qui confine à l’introspection caractérise en effet cette pièce. 

        Il s’agit d’un des rares exemples chez Beethoven de début par un mouvement lent d’une œuvre en plusieurs parties (sonate, quatuor, concerto, symphonie…) : Bernard Fournier signale tout de même le premier mouvement de la Sonate pour piano opus 27 No 2 (dite clair de lune), dans la même tonalité, ainsi que celui de la Sonate opus 26. Cet Adagio joue d’une certaine manière dans l’opus 131, d’un seul tenant, le rôle d’une introduction lente de l’ensemble de l’œuvre.

        Fait plus exceptionnel encore, il s’agit d’une fugue – dans la plupart des grandes architectures, la fugue est le plus souvent placée en fin de parcours : rappelons nous à ce sujet le précédent quatuor opus 130. André Boucourechliev souligne également ce « suprême décentrage »[4] qui conduit le compositeur à commencer par un mouvement contrapuntique et à conclure… par une forme sonate ! Nous sommes ainsi confronté dès le début de ce 14ème quatuor à un double bouleversement de la tradition, comme le souligne Bernard Fournier.

        La fugue de l’opus 131 diffère en outre radicalement, dans son caractère, des autres mouvements de ce type écrits par le compositeur : André Boucourechliev oppose ainsi ce mouvement à la Grande Fugue opus 133 (à l’origine mouvement conclusif de l’opus 130, écrit immédiatement avant ce mouvement) et à la fugue de la Sonate pour piano opus 106 (Hammerklavier). « Il ne s’agit plus, en effet, ni de spéculation ni d’affrontements dramatiques d’éléments irréconciliables. Au sein d’un langage serein, pur de conflit, la fugue devient porteuse du geste expressif (…) ». Cette expressivité (Adagio ma non troppo et molto espressivo…), caractéristique majeure du mouvement – citons Beethoven : « aujourd’hui, il faut qu’un esprit véritablement poétique entre dans la forme antique »[5] -, prend tout son sens à l’analyse du sujet, dont l’accent douloureux situé au centre de la mélodie (le sforzando sur le la) est souligné par tous les musicologues :

                                                                                         Cellule  a                       Cellule b

 

 

        Romain Rolland, quant à lui, insiste fort judicieusement sur l’importance quantitative (mais pas seulement !) des signes d’expression (sfz, cresc., pp) , qui renforcent le sens des écrits soulignés précédemment.

        La première partie du thème (a) s’avère être la cellule génératrice de l’ensemble du quatuor (cf. plus loin : nous étudierons en effet tant les diverses transformations du motif dans le 1er mouvement que ses divers avatars dans l’ensemble de l’œuvre) ; Bernard Fournier souligne la forte parenté de cette cellule avec le « motif du sphinx »[6] dont la forme canonique (issue de l’opus 132) est constituée des quatre premières notes de la gamme mineure descendante.

Structure du mouvement :

        La fugue ne comprend pas de contresujet, les réponses se font à la sous-dominante et non à la dominante comme le veut la tradition. Beethoven tire de cette disposition une ambiguïté harmonique qui permet notamment des tensions sans heurts autour du VIIe degré (si # - si bécarre ; mi # - mi bécarre dans les réponses).

        Le sujet est construit en deux parties contrastées, l’une dynamique (a) avec son accent et sa forme « en ogive » caractéristiques, et l’autre plus apaisée, statique avec son mouvement oscillant autour de la sous-dominante (fa#). Fournier nous indique également que « cette fugue regarde du côté de la sonate, de sa logique d’opposition et de ses possibilités de transformations thématiques »[7] de part le traitement qu’en fait Beethoven dans la suite du discours musical.  Boucourechliev, de son côté, indique qu’avec ce mouvement initial « (…) la fugue, autrefois porteuse d’un sujet inaltéré (…), connaît des transformations thématiques internes selon une logique expressive totalement libre de toute loi (…) »[8]. Le mouvement s’organise ainsi, selon Fournier, de manière tripartite :

-          A : mesures 1 à 62

-          B : mesures 63 – 90

-          A’ : mesures 91 à 120 : strette, dramatisation.

        Toutefois – et ce conformément à un type traditionnel d’analyse d’une fugue-, l’exposition se concluant à la mesure 17, une analyse différente pourrait conclure au début de développement à ce stade du discours musical et découper différemment le développement, qui débuterait donc à la mesure 18 ; le développement serait ainsi construit en trois partie (conception probablement plus cohérente), la première section courant de la mesure 18 à la mesure 62.  Le caractère de strette à partir de la mesure 91 est moins discutable.

        Le développement  n’est pas organisé de manière traditionnelle autour de l’alternance entre divertissements et retours du sujet ; les diverses présentations du motif initial envahissent au contraire le tissu polyphonique au point d’empêcher toute segmentation du discours. Transformées de manière progressive (de manière plus « chimique » que physique), les deux cellules, omniprésentes, sont enrichies par des utilisations du sforzando qui permettent une dramatisation – à noter, contrairement à l’usage, un usage « vertical » de cet élément dynamique, les quatre parties se retrouvant pour accentuer des accords à chaque fois différents (mesures, 36, 54, 61, puis à la fin mesures 113, 115 et 117).

Partie A :

-          Exposition : quatre entrées, de l’aigu vers le grave et toutes les quatre mesures. Fin mesure 17.

-          Dès la fin de l’exposition, Beethoven isole les deux cellules du sujet et les traite séparément en une suite de variations contrapuntiques dont le mouvement général va en s’animant. Après le contrepoint en noires qui suit l’exposition, le compositeur introduit un motif en croches qui est en fait une diminution de b (mesure 55) :

 

Partie B :

-          Deux canons confiés successivement aux voix aiguës (mesures 63 – 74) puis graves (mesures 73 – 82).

-          Contrepoint homorythmique (mesures 83 – 90)

Partie A’ : trois strettes organisées de manière « cumulative » :

 

-          Mesures 91 – 97 : diminution de b – motif en croches et noires qui reprend parfois (partie de violon 2) la diminution déjà signalée mesure 55 qui agit comme un contresujet à la reprise du thème (à l’alto, mesure 92).

-          Mesures 98 – 107 : Se superpose à ces éléments une version en augmentation du sujet, au violoncelle, à partir de la mesure 99.

-          Mesures 108 à la fin : le sujet est réparti entre les deux violons (a dans l’aigu, b au violon 2) ; s’y ajoute un jeu sur l’accent caractéristique de la première cellule, repris trois fois – Beethoven semblant à cet instant ne conserver du thème que sa dynamique -, avant que toutes les strates ne s’immobilisent sur une octave de tonique, dont Boucourechliev nous indique (« par un artifice harmonique napolitain »[9])     qu’elle joue le rôle de sensible de Ré majeur, tonalité du mouvement suivant :

 

Le rôle structurant des intensités (timbre…)

        « Beethoven donne (…) au programme d’intensités dynamique qui sous-tend le motif (a) – < sf > p – une véritable identité d’objet musical ; non seulement ce programme subit des transformations homologues ou non à celles de ce motif, mais il jouit d’une sorte d’autonomie dans le discours : il peut aussi s’appliquer à un motif différent de (a), soit tel quel (violon 1 mesures 101 – 103) soit sous une forme amplifiée (voire l’évolution des mesures 57 – 61). »[10]

        Autrement dit, le sforzando mais aussi ce « programme de nuances », outre qu’il marque d’une empreinte particulière la couleur et la courbe du sujet de fugue, présente toutes les caractéristiques d’un élément thématique, au sens moderne du terme : se reporter à se sujet à notre étude sur le paramètre « timbre » chez Beethoven. Ceci se révèle d’autant plus important que le musicien ne répète jamais son thème initial sous la même forme, lui faisant subir nombre de métamorphoses (voir plus loin). 

                                      

 

     « La fugue de l’opus 131 est-elle un adieu à la fugue ? » s’interroge Boucourechlief[11] ; «Après avoir connu le drame dans l’opus 106 et l’opus 133, cette forme connaît ici son ultime et vespérale transfiguration (…) »[12]

 

2ème  mouvement : Jeu de vagues

6/8 ; Ré majeur

Rythme de tarentelle ; d’un seul tenant (pas de trio).

        Le contraste avec le mouvement initial est saisissant : caractère léger et dansant, écriture homophone, structure discontinue. Si la figure emblématique de la fugue était une intensité (le sforzando), celle de l’Allegro est une figure de tempo : un poco ritenuto, a tempo, qui, conjointement au point d’orgue, remplit une fonction de ponctuation. Ce second mouvement trouve ainsi son élan dans la répétition variée de structures identiques.

Le saut s’octave initial de la mélodie principal ne peut pas ne pas être rapproché d’éléments du 1er mouvement (mesures 103-108), et le lien qu’assure Beethoven entre ces deux pièces (cf. ci-dessus), pianissimo, en renforce le caractère unificateur ; « L’un s’éteint, l’autre se rallume »[13]

 

2ème mouvement - Thème A

Structure du mouvement : en 5 parties[14]

1

Thème A – ré M

(mesures 1 – 8)

 

Développement sur A (mesures 17 – 24)

Thème B

(mesures 25 – 31)

Développement sur B (mesures 32 – 44)

Immobilisation (point d’orgue : mes.  45 – 48)

2

Thème A en Mi

(mesures 49 – 56)

 

Développement sur A (mesures 57– 60)

Thème C en La

(mesures 61 – 75)

Développement sur C (mesures 76 - 83)

Immobilisation (poco rit. : mes. 84)

3

Thème A – ré M

(mesures 85 – 96)

 

Développement sur A (mesures 97-122)

 

 

Immobilisation (point d’orgue :  mes. 123 – 127)

4

Thème A – réduit au saut d’8ve en Si

(mesures 128 –129)

Développement sur A (mes. 129 - 133)

Thème C en Ré

(mes. 134 -148)

Développement sur C (mesures 148 – 156)

Immobilisation (poco rit. : mes. 157)

5

CODA

Thème A – ré M

(mesures 158 –165)

 

Développement sur A (mes. 166 - 169)

Développement sur B (mesures 170 – 194)

 

Immobilisation (mesures 195 –199)

 

        Très atypique dans sa construction, les notions de scherzo, de forme sonate sans développement et de rondo sont évoquées par les musicologues pour caractériser la structure de ce mouvement. Il s’agit en fait d’une forme en cinq parties plus ou moins similaires dont une Coda. Chacune d’elle commence par un énoncé du thème principal – réduit à sa plus simple expression au début de la quatrième partie – qui est ensuite développé (respectivement 8, 4, 18 et 6 mesures) et conduit dans un second temps à l’énoncé d’un second thème (B ou C). Ce mouvement se déploie ainsi en vagues successives – répétition variée d’une même structure [ thème A – développement sur A – Thème B ou C – Développement sur B ou C – immobilisation ] qui viennent à chaque fois « mourir » sur un point d’orgue ou un poco ritenuto. Seules les proportions des différents éléments et les tonalités changent.

Matériau sonore

    Chacun de ses trois éléments thématiques est construit autour d’une même cellule rythmique : q e q e qui parcourt sans interruption – deux brèves séquences exceptées : mesures 42 – 44 et 115 – 122 qui précèdent les immobilisation 1 et 3) les 199 mesures du mouvement.

 

Thème A

        Une de ses principales caractéristiques est son rythme de tarentelle ; une fois lancé le saut d’octave initial, son dessin mélodique se développe par mouvements conjoints ou par tierces ; les deux périodes a1 et a2 sont séparées par un saut de quarte.   Présenté pianissimo, au violon 1, il est soutenu par des valeurs longues syncopées aux trois autres instruments. Repris à l’alto, il s’affermit par un motif de trois croches jouées legato ou détachées qui se combinent et s’échangent.  Ses reprises dans les parties suivantes (2, 3 et 5) constituent des variations de cette présentation initiale ; à noter le changement systématique de distribution du thème aux différentes voix. Son allure et son caractère sont toutefois systématiquement préservés. Au début de la quatrième partie, le thème A n’est pas absent mais simplement représenté par trois énoncés du saut d’octave qui le caractérise.

        Les cinq développements de ce thème dénotent une intensification progressive : crescendi conduisant au forte, animation de la texture, élargissement de l’ambitus, utilisation de grands intervalles.

Thème B

        Plus suave et élancé que le premier, le second élément thématique naît dans la continuité du premier développement sur A et repose sur le même principe rythmique. Sa mélodie se déploie en revanche à partir d’une chaîne de quartes et quintes. Son caractère est plus affirmé, en lien avec l’emploi de nuances plus variées.

        Les développements de B (mesures 31 – 49 puis, dans la Coda , mesures 170 – 194) sont pour l’essentiel construits sur les sauts de quartes de ses deux premières mesures ; on remarquera à ce sujet le violent unisson des mesures 177 – 185.

Thème C

 

                                2ème mouvement - Thème C

        C’est l’aspect saccadé de ses dynamiques, fondé sur l’alternance rapide des nuances et sur un phrasé particulier – legato par quatre notes de la ligne mélodique contredit par un staccato homorythmique des trois autres lignes-, qui le caractérise ; le matériau rythmique reste identique à celui des deux premiers thèmes. Son développement  (mesures 68 – 84) est très vigoureux, prenant une allure presque sauvage : présence de sforzandi sur chaque second temps, caractère percussif de l’accompagnement, pédale de la dans l’aigu…

 

3ème mouvement : rapide voyage

        11 mesures en Si mineur qui parcourent trois tempi différents (Allegro moderato, Adagio, piu vivace) : Fournier souligne à ce sujet l’ « extraordinaire élasticité du temps musical »[15]. Trois parties composent ce mouvement de forme quasi improvisée :  

a)       mesures 1 à 6 :

        Un récitatif qui fait alterner la ponctuation de violents accords f et des échanges piano entre les quatre instruments, dans une courbe descendante.  

 

b)       mesures 6 à 8 :

        L’alto conduit ce fragment Adagio de deux mesures qui sonne « comme un avertissement » et aboutit à « Une vocalise d’oiseau, qui tourbillonne, comme cherchant à se poser »[16][ c), mesures 8 et 9] avant que la conclusion [ d), mesures 10-11] n’affirme forte la dominante de La majeur, tonalité du mouvement suivant : ceci renforce de toute évidence le caractère introductif au grand Thème et variations que constitue l’Andante qui suit.

                            

4ème mouvement : Métamorphoses et approfondissement

Andante ma non troppo e molto cantabile – La Majeur

        Thème et variations, de type « amplificatrices » pour reprendre l’expression employée par Vincent d’Indy dans son analyse de ce mouvement : « Non content d’agrandir les thèmes par toutes les ressources dont a musique disposait (…), il s’élève à la conception d’un nouvel état musical du même thème qui s’amplifie dans tous les sens, en hauteur et en profondeur. »[17]

        Ce long mouvement traduit tout l’intérêt que porte Beethoven, dans sa dernière période créatrice à la variation et en constitue d’un des sommets[18]. Il est à mettre en parallèle avec l’Adagio du Quatuor opus 127, avec l’Arietta de la Sonate pour piano opus 111, sans oublier le dernier mouvement de la 9ème Symphonie ou les Variations Diabelli (nous traitons à part dans ce dossier la question du traitement de la variation par le compositeur dans un chapitre consacré au renouvellement des formes classiques).

        Fait remarquable dans ce quatrième mouvement, Beethoven donne à chacune des variations une identité  esthétique particulière – chacune d’entre elle est en elle-même un univers spécifique et autonome - qui se caractérise notamment par des indications de caractère, des mètres particuliers (2/4, 4/4, 6/8, 9.4…), de texture mais aussi par des modifications substantielles de tempo (un tempo spécifique pour les variations 2 à 6 notamment). En outre, plusieurs se juxtaposent sans aucun lien : « séparées par des silences, certaines peuvent même apparaître comme le départ d’un nouveau mouvement : ainsi en est-il du début de l’Andante – variation No 3 – après la fin affirmée du Piu mosso ; le silence qui sépare ces deux variations n’est pas plus court que celui qui précédera le cinquième mouvement ».[19]

Structure

THèME

Andante ma non troppo e molto cantabile

Mesures 1 - 32

Variation 1

Andante ma non troppo e molto cantabile

Mesures 33 -64

Variation 2

Piu mosso

Mesures 65 - 97

Variation 3

Andante moderato e lusinghiero

Mesures 98 - 129

Variation 4

Adagio

Mesures 130 – 161

Variation 5

Allegretto

Mesures 162 - 187

Variation 6

Adagio ma non troppo e semplice

Mesures 188 - 220

Variation 7

 

Mesures 221 - 231

CODA

Allegretto

Mesures 232 à la fin

 

 

Le thème

        De facture très classique (Fournier souligne « l’admirable simplicité de son contour mélodique » et son rythme syncopé qui en fournit la cellule de base

  )

, il s’organise en deux phrases de 8 mesures – chacune étant répétée -, l’une sur la tonique LA (mesures 1 – 8 puis 9 – 16), la seconde sur la dominante MI  avec retour final au ton principal (mesures 17 – 24 et 25- 32). L’accompagnement de la ligne mélodique subit quelques changements lors de répétitions (plus chargé la seconde fois).

        Harmoniquement, le schéma de la première phrase est simple, qui s’appuie sur les degrés principaux de l’échelle de LA avec un épisode modulant (mesures 6 et 7) fondé sur un double mouvement de Dominante de la Dominante avant de revenir au ton principal :

1ère phrase (a) :

Tonalité

LA

LA

LA

LA

LA

LA     SI

MI  LA   MI

MI LA

Chiffrage

5

+6

6

5

5

6

5         6

           5

5  7   5   +6

    +

5 7

   +      

Degrés

I

V

V

I

I

IV       V

V  V    I    V

V  II     V

 

 

2ème phrase (b) :

        Son schéma harmonique est plus simple encore, débutant en MI mais très rapidement un ré bécarre à la basse nous ramène en LA ; un bref passage par la sous-dominante introduit le mouvement cadentiel.

 

Tonalité

MI

LA

LA

RE

RE LA

LA

LA

LA  

Chiffrage

5

5 +4 6  6

             5

5

5 +4  6  6

             5

5 +67            +

6         5

           

6   5   6  7 

4        4  +

5        -      +6 6 

                      5      

Degrés

I

V      I  V

I

V       I  V

I     V

I          IV

I   IV   I   V

I   V de V     V   

 

Cette architecture harmonique servira bien entendu de base structurelle aux variations qui vont suivre.

        L’écriture, en revanche, se révèle plus originale par le dialogue qui s’instaure entre les deux violons à qui Beethoven confie la mélodie en alternance – peu ou prou, toutes les mesures dans la phrase (a). Lors de la reprise mesure 9, le même principe est adopté en inversant les fragments confiés aux deux instruments. La seconde phrase (b) sur la dominante est interprétée polyphoniquement, en tierces ou en sixtes. La reprise reprend, de manière très assouplie, le principe de partage de la mélodie entre les deux instruments (début au violon 2, fin de la phrase au premier violon).

        Fournier souligne enfin, dès la présentation de ce thème, le travail d’écriture proposé par le compositeur à partir de la cellule génératrice : déplacement dans l’espace (transposition, mesure 2), réduction (mesures 7 et 8)…

Les variations

        Chacune des variations s ‘appuie sur un élément particulier de l’écriture et repose sur le principe d’une métamorphose spécifique de la cellule génératrice, qui rend très souvent le thème méconnaissable ; seule l’architecte harmonique de base est en général conservée.

« On ne peut comprendre le fonctionnement de ces variations que si l’on a bien repéré la forme et la nature de la cellule génératrice et de ses principales articulations dans le thème (…) »[20] :

 

 

Variation 1 : Exploration de l’infiniment petit : métamorphose rythmique (mesures 33 – 64)

Deux caractéristiques fondent le traitement spécifique du thème dans cette première variation :

-          l’ornementation, construite à partir de a :

-          la transformation rythmique de la cellule génératrice a qui devient :

·         annulation de l’effet de syncope

·         indication d’intensité (cresc. – decresc.) ; d’une manière générale, l’importance des dynamiques est à souligner – voir par exemple les mesures 39 à 41.

·         rythme pointé qui place l’emphase sur la seconde note de la cellule en lieu et place de la première. Le ralentissement du rythme que l’on peut observer accentue le caractère méditatif de ce passage.

        Cette cellule est énoncée au départ, de manière conjointe, par les trois instruments graves ; elle dialogue avec l’arabesque du violon 1, legato, en doubles-croches, et s’oppose à la cellule génératrice par son caractère. La variation est ainsi construite sur les interactions entre les deux motifs – qui, par exemple, se superposent au lieu d’alterner mesure 45 puis se contaminent l’un l’autre. Ils évoluent ainsi l’un et l’autres en de constantes modifications et autant de changements de registres. On assiste progressivement à une décomposition radicale de la cellule initiale et à une atomisation des durées : les valeurs de plus en plus courtes prolifèrent, le phrasé regroupe des éléments toujours plus brefs. Seule variation à être écrite au tempo initial, elle donne l’impression d’une accélération continue. Fournier rappelle à ce sujet le même phénomène qui se produit dans les variations de l’opus 111.

 

Variation 2  (piu mosso) : Jeu (dialogué) avec le vide (mesures 65 – 97)

 

Cette fois, c’est la réponse

qui sert de base à la variation, dont on retrouve les notes dans la guirlande mélodique de la mesure 66, construite sur des éléments disjoints du thème et qui rappelle, renversée, le contrechant de la variation 1 :

.

        Au caractère enjoué, l’accompagnement en batteries, obstiné et régulier, du violon 2 et de l’alto sonnant « comme un tambour en sourdine » (Romain Rolland), la seconde variation met en scène dans un premier temps un dialogue entre les instruments extrêmes. Les voix s’entremêlent progressivement (à partir de la reprise de a surtout)  pour atteindre une sorte de frénésie dans la seconde partie : crescendo à partir de 82, unisson accentué par les sforzandi mesure 86, chute vertigineuse des sauts d’octaves mesure 89… la seconde reprise présente cette fois peu de différences d’écriture.

        Du point de vue de l’écriture, Fournier souligne le jeu « entre plein et vide » : « au départ est le silence ou plutôt ce pseudo-silence des batteries qui ne supportent aucun motif ; lorsque le dialogue commence, les répliques sont séparées par ce même pseudo-silence puis tout se resserre. »[21] Par la suite, des motifs en croches viennent combler les vides, la place réservée aux batteries diminuant progressivement, jusqu’à la saturation complète (l’unisson des quatre voix).

 

Variation 3 (Andante moderato et lusinghero) – fugue - mesures 98 à 129.

Le terme signifie « flatteur » ou « en plaisantant ».

        De toute évidence référence à la fugue initiale : le double canon à deux voix de sa première partie, le style fugué de la seconde – où le sujet rappelle celui de la fugue initiale - le confirment. Dans cette variation, les deux parties, correspondant aux deux phrases du thème, sont très différenciées, plus que précédemment.

        La première partie est organisée autour d’un canon entre le violoncelle et l’alto dans un premier temps (mesures 98 – 105) , puis des deux violons sur cantus firmus des deux basses ensuite (mesures 106 – 113). Les réponses du canon se font un ton au dessus de la précédente :

        La cellule de base a est, comme il se doit, incluse dans les notes du motif du canon – notes entourées ci-dessus. Le rythme pointé – cf. variation précédente – est également à noter. A noter enfin une préfiguration (alto mesure 105) du thème fugué de la seconde partie de la variation, que l’on retrouve dans la reprise à la mesure 113 (au violon 2), juste avant le départ du sujet.

        La seconde partie (mesure 114) tranche avec la première par son phrasé heurté, discontinu qui s’oppose au legato des duos précédents. Le discours musical s’organise autour de la logique du contrepoint renversable ; dans ce fragment, une fois encore, les dynamiques revêtent une importance considérable (trilles, sforzandi) de la même manière que Beethoven distille les entrées successives du thème de fugue dans un espace élargi. Les huit premières mesures (114 – 121) présentent des entrées à la seconde, toutes les mesures et réitérées toutes les deux mesures. Les huit dernières enrichissent l’écriture contrapuntique avec des entrées doublées à la tierce ou à la sixte (violoncelle – violon 2 d’une part, alto – violon 1 d’autre part). 

 

Variation 4 (Adagio) : Lyrisme, jeu d’imitations – mesures 130 – 161.

Probablement la variation dont le lien avec le thème initial est le plus lâche ; tout juste peut on remarquer que le motif principal, arabesque exécutée en double croches au violon 1, est accompagné par un dessin du violoncelle construit sur les notes principales de a (sol# - si – la). Le développement de la cellule initiale exploite en revanche un aspect très secondaire du thème de départ :

 Cette variation semble ainsi se déployer comme une improvisation très libre dans le cadre harmonique du thème : arabesques entrecoupées de petits commentaires, sortes de ponctuations pointillistes (en pizzicati), qui gagnent du terrain dans la reprise (les dessins mélodiques envahissent les quatre parties).

La seconde partie débute (mesure 146) sur un accord de neuvième de dominante, des gammes ascendantes se développant dans les parties graves, la ligne mélodique des violons imprimant un mouvement inverse. Les rôles sont enfin intervertis dans les huit dernières mesures.

Variation 5 (Allegretto) : Temps immobile, grands espaces – mesures 162 – 187.

« Variation blanche »[22], « Sphinx musical comme la vingtième des Diabelli »[23], cette page se révèle en effet d’un statisme extrême ; nulle trace du thème, seule sont architecture harmonique est conservée.

        Cette variation est la seule dans laquelle Beethoven répète intégralement l’une des parties (b) sans la modifier – signe de reprise -, ce qui renforce le statisme caractéristique de cette variation. a et b se présentent d’ailleurs sous des formes assez contrastées :

-          a est statique, affranchie de tout motif mélodique, est une pure résonance d’accords qui se forment progressivement, avec prédominance des quartes et quintes. Les deux notes « la, sol# » du violon 1 mesure 162 sonnent toutefois comme un rappel du thème.

-          b se révèle plus mobile, comme à la recherche du thème perdu dont on retrouvera d’ailleurs quelques bribes (violon 1 mesure 179 puis violoncelle mesures 182 – 184, à rapporter à la cellule

du thème (prolongement du motif générateur), mesure 18.

        Si cette page est presque vierge de tout motif mélodique, son cadre harmonique se voit particulièrement mis en relief, beaucoup plus proche de l’original que dans les variations précédentes. On retrouve également pour la première fois la rythmique syncopée initiale.

 

Variation 6 (Adagio ma non troppo e simplice) : Psalmodie et violence métaphysique – mesures 188 – 219.

        Prière pour les uns, invocation fervente, sorte de choral murmuré sotto voce pour d’autres, cette variation se caractérise par son écriture homorythmique et ses valeurs égales – les 33 mesures sont en noires. La ligne mélodique progresse de manière ascendante avant de retomber et consiste en la répétition à des hauteurs différentes de la cellule initiale.

        Le motif sur lequel est construit la variation dérive du thème par son utilisation des deux notes principales de la cellule de base (la – si) ainsi, dans sa première transposition, de celles de la mesure 4 du violon 1 :

(Rappelons que la variation précédente prenait, elle, appui sur les notes extrêmes du motif générateur : la – sol#.)

 

        L’originalité essentielle de la variation, qui lui donne sa singulière puissance expressive, est la perturbation progressive que va entraîner, dès la mesure 196, l’apparition dans le grave d’un motif menaçant sans aucun rapport avec le thème et qui va considérablement dramatiser la suite du discours musical :

        Intervenant « tantôt comme brutal événement rythmique, tantôt, a peine audible, comme une présence insidieuse - comme un timbre »[24], cet élément, inattendu et « hors contexte », reste au second plan lors de la reprise de la première partie (196 – 203) puis éclate à la mesure 204 lors du début de la seconde partie avant de contaminer les autres voix, soit par sa reprise textuelle (violon 1, mesures 212, 214) soit par le changement de caractère qu’il induit et son intégration dans la polyphonie. Ce sont en effet les métamorphoses de cet élément timbral qui dominent la dernière partie du mouvement ; le thème change en effet totalement de sens dans un univers sonore transfiguré.

 

Variation 7 (?) : Récitatif  - mesures 221 – 227.

        Cette variation de sept mesures seulement peut également être perçue comme une « coda » de la sixième variation, la plus importante et centrale dans l’ensemble du quatuor, avant que le retour du thème n’introduise la véritable partie finale du mouvement.

        S’enchaînent dans un premier temps quatre récitatifs, au caractère non mesuré, en triolets ; chacun est confié à un instrument différent et ornemente la cellule initiale à sa manière. Deux accords ponctuent le discours dans le style du récitatif baroque.

 

Coda

Bernard Fournier insiste sur l’ « extrême morcellement » de cette Coda, construite en six épisodes :

-          Séquence modulante (228 – 231)

-          Retour du thème en Ut (Allegretto puis sempre piu allegro, mesure 232)

-          Variation en La Majeur (Andante, mesures 244 – 250)

-          Retour de l’épisode modulant de 4 mesures (mesures  251 – 254)

-          Retour du thème en Fa Majeur, Allegretto puis sempre piu allegro (mesures 255 – 264)

-          Conclusion (mesures 265 à la fin).

 

·         Les quatre premières mesures constituent la transition avant le retour du thème : quatre accords (un par mesure : MI, La Majeur , La mineur, FA) égrenés en arpèges aux instruments graves sous les trilles du violon 1, agissent comme une séquence modulante pour ramener le thème… non pas dans sa tonalité originale mais en Ut Majeur. On retrouve un peu plus loin, avant la reprise du thème en Fa, le même épisode.

·         Les deux Allegretto (Ut puis Fa Majeur) : ils sonnent comme un élan libérateur d’une mélodie qui s’échappe du moule dans lequel elle était enfermée.

·         De manière centrale dans cette Coda, une reprise dans la tonalité et dans le tempo (Andante) initiaux du thème, joué conjointement par l’alto et le violon 2 sous les trilles de la partie aigue : nous sommes là dans l’univers de la variation – si 7ème variation il y a, c’est ce passage qui s’en rapproche le plus…)

·         La conclusion : très évanescente, comme laissant planer le doute, elle début par une « cadence » du violon puis donne l’image d’un thème qui se brise avant de disparaître. Tout s’arrête, comme en suspens, sur un point d’orgue.

 

5ème mouvement : Répétitions et surprises

Il s’agit d’un Scherzo de grande ampleur (500 mesures), indiqué Presto, en Mi Majeur.

        Il se présente de manière fortement contrastée avec ce qui précède, l’Andante à variation se concluant dans l’incertitude ; nous assistons au contraire, avec le début du Scherzo, à l’affirmation péremptoire d’un motif martelé de quatre notes, dans la nuance forte, par le violoncelle. Une mesure de silence et le thème, d’une grande vitalité, se développe et nous introduit dans un tout autre univers, celui de la répétition obsédante. « Et pourtant, à force même d’être prévisible dans la reproduction des mêmes mécanismes, ce mouvement se révélera, notamment dans la coda, le lieu par excellence de la surprise »[25]. Attentes programmées mais éludées, irruptions prématurées, introduction inattendues d’éléments nouveaux… constituent de fait les éléments du renouvellement du discours musical de ce cinquième mouvement. Le caractère répétitif de l’ensemble, érigé en principe, reste manifeste ; « intention expressive délibérée »[26] selon Boucourechliev qui qualifie également le mouvement de « pièce de la plus haute extravagance »[27] !

A noter le mètre binaire, alla breve, inhabituel pour un scherzo.

Structure

A (Scherzo)

B (Trio)

A’ (Scherzo)

B (Trio)

A’’ (Scherzo)

Coda

Mesures 1 - 67

Mesures 68 - 170

Mesures

171 - 234

Mesures

 235 - 328

Mesures

329 - 448

Mesures

449 - 500

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A1

1 – 19

A2

20 – 67

A2

Reprise

 

Trans.

69 – 70

B1

 

71 – 112

 

B2

 

112 – 142

 

B3

(thème c)

143 – 161

 

transition :

162 – 170

A’1

171 – 186

  A’2

187 – 234

 

trans

235 –

236

B1

237

-

278

B2

278

-

308

B3

309

-

336

A’’1

337 - 352

 

A’’2

353 – 400

 

A2

401 – 448

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

        Si les deux expositions du trio se répètent telles quelles dans leur contenu et dans leurs proportions, les trois présentations du Scherzo ne se font jamais de la même manière :

-          la seconde se fait sans la reprise de la seconde partie – la troisième la réintroduit, en guise de réexposition.

-          La transition vers la réexposition du Scherzo (mesures 329 – 336) accentue le pointillisme par un redoublement des noires aux différents instruments.

    Le Scherzo s’organise lui-même en plusieurs sections :

·         A1 – mesures 1 à 19 -, en Mi majeur, est constitué d’une phrase de facture classique, antécédent – conséquent, la seconde période étant répétée à l’octave ; les deux sont suspensives et débouchent sur un accord de sol# mineur, Dominante de ut# mineur.

·         A2 s’organise en trois sous-parties :

ð      bref développement en ut# mineur sur la tête du thème (2 mesures), transposition en Si Majeur (mesures 23 – 24), interruption et chute vers le grave, aux différents instruments, de la cellule de quarte ascendante. Reprise, avec modification des intervalles, de cet épisode (3 fois 4 mesures)

ð      rapides imitations, du grave vers l’aigu et tous les deux temps, sur le thème repris en sol# mineur (mesures 37) puis énoncé de la mélodie dans cette même tonalité (mesure 41), rapidement interrompu par un ritardendo qui aboutit à un point d’orgue (44).

ð      Retour en Mi Majeur, a tempo, développement cette fois sur la deuxième partie du thème et conclusion de cette partie (mesures 45 – 67).

La Coda

        Elle présente un condensé de tous les épisodes du mouvement dans une désarticulation ponctuée de contretemps et de fausses rentrées. Chaque début de section apparaît ainsi dans l’ordre inverse de son déroulement habituel, accentuant un peu plus encore, in fine, l’aspect ludique et facétieux du mouvement.

ð      Quatre mesures de (b1) prolongées après un premier point d’orgue par quatre mesures (b2) : mesures 449 – 456 ; point d’orgue.

ð      (b3), rapidement désarticulé, ainsi que la transition habituelle qui propose une fausse rentrée de (a) avant les pizzicati qui sont censés l’introduire, lequels présentent alors des notes parasites au thème (do#) et sans former le dessin attendu de la cellule (457 - 471 .

ð       (a), sous une forme parodique (entrée du violoncelle dans son registre aigu, sul ponticello), développé (« ronde diabolique ») : mesures 472 et suivantes

ð      Le thème retrouve enfin sa sonorité naturelle (mesure 489) et se termine sur une dernière envolée joyeuse.

ð      Fin sur deux puissants accords de tonique ; après un point d’orgue, des sol, » à l’unisson des quatre instruments assombrissent considérablement l’atmosphère : nous sommes déjà dans le mouvement suivant, « page la plus sombre de l’œuvre s’enchaînant à la plus joyeusement folle ».

Matériau thématique

Caractère populaire des thèmes à mettre en relation avec ceux du second mouvement.

        La logique de développement du matériau thématique, dominée nous l’avons dit par la répétition, repose sur des principes de reproduction, de déplacement, de translation de cellules (parfois de deux notes seulement), motifs, fragments, phrases, sections et parties.

        Les thèmes du scherzo et du trio présentent une absence de contraste et une évidente parenté thématique – là encore, phénomène inhabituel chez Beethoven – ; ils s’enchaînent de surcroît sans rupture.

Liens entre les différents thèmes :

-          même tonalité (Mi Majeur) pour les deux thèmes principaux (a) et (b1), ceux du Scherzo et du Trio.

-          Même tempo (Presto)

-          Même dessin rythmique (4 noires – blanches).

Thème (a) : Scherzo

        Outre le caractère enjoué, populaire et ludique du motif, ce sont encore une fois les dynamiques qui en constituent un des principaux éléments : le forte subito de la fin de phrase, sur cinq notes répétées, sonne presque ainsi comme un trait d’humour, comme un grand éclat de rire. Un élément de surprise est introduit par le compositeur à la mesure 350 avec l’inattendu sempre pp 

Thèmes (b) : Trio

        Alors qu’un thème unique compose le matériau du Scherzo, le Trio comprend trois éléments thématiques qui se répètent et s’enchaînent tels quels, sans jamais être fragmentés, dans une progression constante de l’intensité :

·         (b1), comme (a), témoigne d’une grande simplicité d’écriture – antécédent / conséquent - et présente un caractère gai et malicieux – cf. l’indication piacevole, « charmant » - sans être aussi rude (voire rustique) ; Maurice Hewitt le qualifie de « thème de musette »[28]. Enoncé quatre fois à chaque apparition, les deux premiers (aux violons) sont séparés de la reprise aux instruments graves par une séquence ludique de transition en jeu de hoquet, sur deux fois quatre mesures, qui provient de l’accompagnement du thème.

·         (b2), noté ritmo di quattro battute (penser la battue non par temps mais toutes les quatre mesures) et écrit en La Majeur , reste très proche du motif précédent : Fournier le perçoit de manière très légitime comme une « recomposition du premier »[29]. Les figures rythmiques (motif de quatre noires, mélodie disjointe en blanches) sont ainsi interverties. Ce motif lui aussi répétitif – énoncé quatre fois -, joué legato, est porté par un jeu sur les intensités (cresc. > p) plus important que pour (b1). On retrouve enfin dans l’écriture de l’accompagnement le même jeu « en hoquet » que dans le motif précédent. Son caractère se révèle plus souple que le précédent, dansant presque.

·         (c) ,avec son caractère populaire accentué et un rythme dactyle prononcé, « explose dans une jubilation festive »[30] ; on retrouve quelques éléments – intervalles de tierces et quartes, accompagnement déhanché en noires – issus des motifs (b) mais tout s’exacerbe dans un crescendo conduisant au fortissimo (mesure 160). La transition qui ramène le Scherzo (mesures 163 – 170) intervient après une mesure de silence qui rompt brutalement l’emballement et s’organise autour de sons interprétés en pizzicati, un par mesure, par les quatre instruments à tour de rôle. Les notes déclinent l’accord de 7ème de Dominante de Mi (sans la fondamentale : la fa# ré fa#, mesures 163 – 166) : à une transposition près, ce sont les notes qui forme la première mesure du mouvement (si sol# mi sol#) et que l’on retrouve immédiatement, d’abord mesures 167 – 170 dans le même mode de jeu mais également, en guise de préparation au retour du Scherzo et comme au début, à la mesure 169 au violoncelle. Forte et arco, ce qui accentue l’effet de rupture.

 

6ème mouvement :  Lamento

Adagio quasi un poco andante – 3/4 , sol# mineur.

        Attacca… indique Beethoven à la fin du mouvement précédent. Ce mouvement très court (28 mesures) est donc destiné à faire le lien entre le 5ème et le 7ème mouvements. Il est tout de même plus que cela, véritable instant de musique pure, page méditative (« de deuil » pour Boucourechliev) entièrement tendue vers l’expressivité.

        Le contraste avec le Presto est éclatant : cet Adagio se révèle dense poignant  et douloureux, retrouvant – avec plus d’accablement encore - la tristesse de la fugue initiale. Son motif principal n’est d’ailleurs pas étranger au Sujet du premier mouvement. :

(Le rétrograde des trois premières notes, transposé d’une quarte, nous renvoie en effet, mélodiquement, au notes initiales du Sujet de la fugue :    )

Structure

        On trouve dans cet épisode une alternance entre des exposition du thème de quatre mesures (parfois modifié, le la# initial de l’Alto se transformant par la suite en la bécarre dans les trois énoncés suivants du violon 1 :    ) et des « séquences de glose dialoguée » où les trois voix supérieures énoncent à tour de rôle, en imitation à la seconde – cf. variation 3 de l’Andante -  un motif dérivé du thème :

        On remarquera par ailleurs une fois encore, dans ce mouvement, l’importance des dynamiques qui s’avèrent bel et bien caractéristique de l’ensemble du Quatuor.

        Dans le second de ces passages en imitation, cette cellule se déploie dans l’espace en combinant ascension dans l’échelle des registres (instrument par instrument : Alto, Violon 2, violon 1) et dépression des degrés de la gamme (Mi2, Ré#3 ; Do#4).

Le principe de répétition trouve dans ce mouvement une toute autre finalité que dans le Presto, s’avérant cette fois insistance douloureuse, qui se conclut toutefois sur la première note de l’Allegro final, d’un tout autre caractère.

 

 

 

 

b) Construction de l’unité de l’œuvre 

        La spécificité de ce quatuor opus 131, dans le contexte de la série de pièces que Beethoven écrit à la même époque, est bien cette recherche de l’unité de l’œuvre : « (…) aboutissement d’un long cheminement entrepris dès les premiers quatuors (…), il pose maintenant avec la plus grande exigence le problème de l’unité d’une œuvre en plusieurs mouvements et le résout d’une manière nouvelle (…), en enchaînant sept mouvements tirés d’un noyau générateur unique et déployés en une seule coulée ; le compositeur atteint ainsi un idéal d’intégration et de continuité impensable avant lui (…) »[31].

        Cette construction unitaire se situe dans la continuité des recherches de Beethoven dans ce domaine : quatuors opus 18 No 1, opus 59 No 1 (premier exemple de lien d’enchaînements de mouvement à mouvement), Quatuors Galitzine… Les symphonies No 5 et 9 notamment sont le reflet de la même préoccupation. Parallèlement, et ce de la même manière que dans nombre de sonates pour piano ou symphonies, le compositeur allemand s’ingénie à remettre en cause le modèle classique de la forme sonate : remise en cause des formes « standards » (Lied, menuet, rondo…), modification du nombre et de l’ordre des mouvements… De ce point de vue également, l’opus 131 constitue un aboutissement de la pensée du compositeur.

        La caractéristique essentielle de l’œuvre dans le domaine formel est bien, ainsi, la proposition qu’il apporte d’une solution nouvelle à un problème d’architecture (émancipation par rapport à la forme sonate) tout en trouvant le moyen de relier entre elles les différentes parties de la pièce. La Sonate en si mineur de Liszt est proche…

La cellule génératrice

        Comme nous allons le constater, l’utilisation d’un motif de quatre notes pour lier le matériau thématique de l’ensemble du quatuor – très neuve pour l’époque - se situe d’ores et déjà dans une perspective très contemporaine, que nous pourrions qualifier de webernienne tant les renversements, permutations et rétrogradations constituent dans cet opus 131 la base du travail thématique.

La tête du sujet :

        Outre, comme nous l’avons vu, qu’elle plonge ses racines dans le système thématique des quatuors précédents, introduisant ainsi un nouveau concept d’une unité « inter-œuvre », elle présente plusieurs caractéristiques essentielles qui les distingue d’un sujet de fugue traditionnel (dans cette forme qui se nourrit de permutations, superpositions, transformations de motifs, les intensités y jouaient une rôle secondaire) :

-          un système de dynamiques et d’intensités (cresc. Sforzando  decresc.) indissociable de la mélodie, qui donne véritablement à cet objet musical son identité. 

-          des relations intervalliques : c’est essentiellement ce second aspect du motif qui est exploité tout au long du quatuor.

Métamorphoses dans le premier mouvement :

        Beethoven ne reprend textuellement le sujet qu’une seule fois (alto, mesure 92) ; chacun de ses énoncés se fait ainsi dans une tonalité, dans une forme mélodico-rythmique, un registre, une intensité, un phrasé… différents. Encore une notable différence avec le traitement du sujet dans une fugue classique ! Douze images différentes de la tête du sujet sont ainsi proposées dans le mouvement, dont nous retiendrons les cinq formes suivantes :

Présence du motif dans les différents mouvements

-          Sans que le motif ne soit présent, on notera en premier lieu la référence à la fugue initiale dans la variation 3 de l’Andante (4ème mouvement).

-          Les liens thématiques – ré-exploitation de la cellule génératrice initiale, tête du sujet de la fugue – sont particulièrement renforcés dans les mouvements extrêmes.

·         Mouvement introductif au Finale, l’Adagio (6ème mouvement) réintroduit dans son thème principal la cellule – ses trois premières notes - en la transposant et la renversant :

(cf. plus haut).

·         Le Finale, donc : l’analyse détaillée du 7ème mouvement qui suit détaille les étroites relations entre le sujet de la fugue et les différents motifs de ce mouvement.

-          Une parenté entre le thème du second mouvement et la cellule génératrice (outre le lien assuré entre les deux mouvements par les sauts d’octaves) est relevée par Bernard Fournier, dans un contexte différent (caractère dansant, mode majeur) ; les intervalles, renversés, en sont également modifiés du fait de l’opposition de mode :

 

Le « Programme dynamique »

Les changements de tempi 

        Le nombre et la fréquence des changements de tempi dans l’opus 131, qu’ils soient soudains ou progressifs, en constitue l’une des caractéristiques première ; pour l’ensemble des sept mouvements, on ne compte ainsi pas moins de trente-quatre indications successives déterminant le tempo spécifique d’une séquence. Dans l’Andante par exemple, presque toutes les variations possèdent leur indication de tempo, masquant par la même l’image du thème original et contribuant, au delà de ses transformations mélodico-rythmiques, à le brouiller. Ces changements font également percevoir le début d’une nouvelle variation comme celui d’un nouveau mouvement… Les « accelerando » ou « rallentendo » sont également présents en masse dans la pièce (quelques quarante indications de ce type). Ainsi Beethoven se propose-t-il de repenser la conception même du temps musical, conçu traditionnellement autour de séquences (les mouvements) organisés à partir d’un tempo unique. Le compositeur rompt avec une linéarité et dynamise de cette manière le temps en le rendant plus qu’auparavant « cyclique ».

Les durées

Un aspect plus secondaire de l’unité de ce quatuor réside dans la fréquence de motifs thématiques en valeurs égales ou en valeurs longues.

Nuances : le caractère thématique du «  < sf > p  » initial

        Outre qu’il contribue largement à caractériser le thème lui même en le rendant « molto espressivo », cette indication très précise de nuance va, dans l’ensemble de la pièce, prendre de l’autonomie et marquer de son empreinte la totalité de l’œuvre. Beethoven donne ainsi à ce programme d’intensité dynamique une véritable identité d’objet musical : non seulement, en effet, ce programme subit des transformations homologues (ou non) à cette du motif initial mail il jouit d’une sorte d’autonomie dans le discours :

ð      2ème mouvement, mesures 68 – 74

ð      4ème mouvement, variation 2 (mesures 86 – 89, 94 – 97)

ð      4ème mouvement, variation 3 (mesures 114 et suivantes, cresc.  sfp)

ð      6ème mouvement : cresc. sf > p, retour du programme dynamique dans son état initial.

ð      7ème mouvement : le « cantus firmus » en rondes (mesures 94 et suivantes) : chaque attaque du motif doit être jouée sf. (soit sur la note même, soit dans son accompagnement). Idem pour le second motif en valeurs longues dans la réexposition (mesures 170 et suivantes).

ð      7ème mouvement, Coda : le « motif de trois notes » et, plus globalement, toute cette page finale se révèle marquée, au moment de conclure le quatuor, de l’empreinte du sforzando initial.

 

ð      2ème mouvement, mesures 56 – 75 et  son retour à partir de 130 ; les fortissimo de la dernière page et le mezza voce qui se conclut par un pianissimo (mesures 195 – 198)

ð      3ème mouvement : 9 changements d’intensité en 11 mesures !

ð      4ème mouvement : variation 1, le caractère quasi-thématique des cresc. > p ; idem dans la variation 3 sur des entités plus brèves (mesures 101 et suivantes), dans la variation 6…

ð      5ème mouvement : le brusque forte sur les notes répétées de la fin du thème 1

ð      6ème mouvement : < p ou cresc. > p , une constante !

ð      7ème mouvement : importance des dynamiques du motif secondaire (celui issu du sujet de la fugue, fort logiquement !). Toute la Coda.

 

 

Liens ténus entre les 6ème et 7ème mouvements

-          même lien thématique à la cellule génératrice du quatuor, même programme d’intensité dynamique (cf. ci-dessus).

-          Parenté mélodique de la fin de phrase, pour laquelle on retrouve le même processus « napolitain » lors de sa reprise : 

 

 

 

 

3-Analyse détaillée du 7ème mouvement

Allegro, 2/2 (C barré) – Ut dièse mineur

Forme sonate

        « Danse du monde » pour Richard Wagner, « chevauchée héroïque et presque guerrière », « mouvement implacable et grandiose » selon Bernard Fournier, ou encore «impétueuse affirmation du rythme » - Boucourechlief -,    pour Romain Rolland…  L’intensité dramatique y est en effet à son comble.

Enjeu du Finale dans le parcours expressif de l’œuvre :

        Sommet dramatique de l’œuvre, vers lequel converge tout le quatuor, ce mouvement retrouve la tonalité d’ut# mineur de la fugue initiale. Longtemps différée, la résolution de la tension créée par l’Adagio du début de l’œuvre aboutit enfin avec ce dernier mouvement. Le second mouvement éludait, laissait en suspens le conflit ouvert par l’Adagio en nous conduisant dans un climat d’insouciance et de légèreté, Beethoven investissant ensuite d’autres univers sonores aussi étrangers à celui de la fugue (Andante par exemple). Seul ce Finale apporte la nécessaire contrepartie dramatique à la méditation tourmentée du début, et la réponse qu’il propose prend dès lors d’autant plus de force : ce septième mouvement est en effet le climax de l ‘œuvre entière, il est le lieu où explosent enfin les tensions retenues depuis la fugue, à la fin d’un long refoulement.

 

Structure

        En tant que mouvement de forme sonate, ce Finale présente une structure originale que l’on peut qualifier de progressive : allant encore au delà de l’équilibre atteint dans l’Allegro de la 5ème symphonie (quatre fois 150 mesures) les différentes parties (Exposition, Développement, Réexposition, Coda) se révèlent de plus en plus importante, la Coda proposant ainsi 50 mesures de plus que l’Exposition (cf. le tableau récapitulatif page suivante). C’est dire combien le mouvement est tendu vers sa partie terminale ! On remarquera d’ailleurs que, malgré l’intense énergie que déploie le compositeur dans l’Exposition, les possibilités de développement contenues dans les éléments thématiques de ce mouvement vont permettre d’intensifier encore, dans les parties suivantes, la dramatisation du discours musical.

Le matériau thématique et son exploitation

        Plus manifestement que dans les autres mouvements, qui en reprennent tel ou tel élément, la thématique de cet allegro se réfère clairement au sujet de la fugue, repris sous deux formes voisines dans les volets extrêmes de son thème principal.

On retrouve par ailleurs dans cet Allegro la traditionnelle opposition, chez le compositeur allemand, entre les deux groupes thématiques A et B. De la même manière, le Développement et la Coda ne font appel qu’aux thèmes principaux, ceux du groupa A (motif de l’introduction, omniprésent, et 1er thème). Les motifs du groupe B « se montrent ainsi étrangers et imperméables à l’enjeu dramatique du mouvement (…) ». De la même manière, toutes les transitions reposent sur des exploitations de A, sans aucun ajout de nouveau matériau. Nous ferons à ce sujet à nouveau référence à la symphonie en ut mineur : lorsqu’un thème est caractérisé avec autant de force, il écrase tous les autres motifs et se trouve au centre de tous les développements. C’est assurément le cas, dans l’opus 131, avec les deux principaux thèmes constitutifs du groupe A .

Le groupe A :  

Il se compose de trois phrases étroitement soudées les unes aux autres :

ð      Le thème de l’introduction (mesures 1 à 5) :

        Sorte de prélude d’une intensité saisissante, il comprend trois figures énoncées fortissimo et entrecoupées de silences, à l’unisson des quatre instruments. Beethoven soumet d’emblée l’auditeur à un déferlement de puissance sonore qui va se poursuivre avec le thème suivant.

Thème de l’introduction

 

        Outre le do# isolé, les deux figures qui composent ce prélude – suspension sur V / conclusion sur la tonique – sont autant de coups de boutoirs dont on remarquera que leurs quatre dernières notes constituent une permutation de la cellule initiale du sujet de la fugue (1 – 4 – 3 – 2 puis 1 – 4 – 2 – 3 par rapport au Sujet).

ð      Le thème 1 (mesures 6 à 21)

        Son caractère sauvage et primitif est renforcé par un accompagnement martelé, percussif, des trois voix graves. Entièrement construit sur un motif iambique q 7e q 7 e de caractère incisif et haché, il s’articule par groupes de deux mesures ; il se déploie         également en deux phrases antécédent / conséquent. C’est cette mélodie qui confère au mouvement son allure de « chevauchée sauvage ». A la mesure 17 cependant, tout change, le phrasé devient legato, la nuance piano, le la bécarre « napolitanise » quelque peu la cellule mélodique finale. Cet épisode est à rapprocher des transformations que subit le thème de l’Adagio, mouvement précédent. Fournier retrouve lui à cet instant le rythme de barcarolle du second mouvement.

Thème 1

 

ð      Le motif secondaire (mesures 21 – 35)

        Toujours soutenu – en accompagnement, à l’Alto - par le rythme de chevauchée, ce motif est construit sur deux phrases legato de caractère sombre cette fois qui se répète quatre fois (deux fois au violon 1 et deux aux instruments graves à l’unisson) :

motif secondaire issu du sujet de la fugue

 

        Les quatre premières notes sont là encore un permutation du début du sujet de la fugue (3 – 2 – 4 – 1) ; la seconde cellule se présente sous deux formes (ouverte / fermée). Autre lien avec le Sujet, bien que dans un  tempo très différent, la parenté de son architecture rythmique : une brève suivie de trois longues (blanches), puis une succession de valeurs égales (noires).

         La séquence se conclut sur un processus de densification à partir d’imitations sur cette seconde cellule (mesures 35 – 39).

Mesures 40 à 55 :

        Transition vers le second thème, ce passage constitue une réduction des mesures initiales : le rythme du Thème 1 – dans un registre plus aigu - envahit la reprise de l’introduction, la nuance n’est plus que forte, de brèves entrées en imitation concluent cette épisode.

 

Le groupe B :

Le second thème (mesures 56 – 77) est en Mi Majeur, relatif du ton principal ; il sera réexposé, de manière surprenante, en Ré Majeur et prolongé par 24 mesures en ut# Majeur.

Thème 2

 

        Il s’organise en deux cellules : gamme descendante en croches legato (cellule b1) et groupe de trois blanches en notes répétées (b2), mises en espace presque deux octaves plus haut que la fin de la cellule précédente. Cet élément apparaît statique eu égard au mouvement de la gamme qui le précède. On entend trois fois ce thème, à chaque fois à un instrument différent (violon mesure 56, Alto mesure 60, violon 2 mesure 65) ; la dernière fois, le thème est contrepointé par une reprise au violon de cette même mélodie, transposé d’un ton. La seconde partie du thème fournit alors le prétexte à une amplification se déployant dans le suraigu, exécutée ritardendo (mesures 70 – 73). « (…) l’essentiel se joue ici dans les fluctuations de tempo, le rapport en vitesse et immobilité, entre les registres graves et aigus, entre des bouffées crescendo retombant subitement au piano. »[32]

        On retrouve ce second thème dans la réexposition aux mesures 216 – 261 ; elle occupe ainsi 46 mesure au lieu de 22, Beethoven présentant cette séquence dans deux tonalités différentes (Ré puis Ut# Majeurs). La première suit un cheminement assez fidèle à celui de l’exposition mais la seconde se révèle assez différente ; séparée de la précédente par une courte transition (mesures 237 – 241) qui semble mener à la Coda (réintroduction du violent motif initial, seule interaction entre les groupes motiviques A et B dans le mouvement), l’énoncé du thème 2 ne se produit que deux fois et conduit, dans un processus d’immobilisation (« choral » en blanches, mesures 254 – 261), à la Coda.  

 

Développement

        Il débute avec la reprise du motif de l’introduction puis du Thème 1 en fa# mineur (sous-dominante) ; le discours musical suit le même cheminement que dans l’Exposition – quelques notes sont toutefois appoggiaturées – et ce jusqu’à la mesure 93.

Apparaît alors, soutenu par le même rythme de chevauchée, un motif en rondes, de type cantus firmus

servant de contresujet à un véritable fugato de 24 mesures construit sur la seconde phrase du Thème 1, avec réponses atypiques à la sous-dominante comme dans la fugue initiale, qui se déploie avec une puissance sonore paroxystique (mesures 94 – 117). Revient alors le thème de l’introduction, en si mineur (mesure 117), mis en boucle sans silence (mesures 119 – 122) puis transformé et développé par réduction à sa partie ascendante, progressivement élargie dans l’espace, puis à sa simple structure rythmique deux croches – noire (mesures 124 – 147). Un motif legato en croche, qui circule aux différents instruments, vient contrepointer le développement de ce thème. C’est ce nouvel élément qui va prendre, à la fin de cette section, l’ascendant pour se transformer en une sorte de trille qui va suspendre le temps (ritmo di tre battute, mesures 148 – 159). Douze mesures affranchies de tout motif thématique qui préparent la Réexposition , dans lesquelles seul les crescendi et decrescendi, un registre qui évolue et surtout l’accélération de l’alternance entre les deux notes du violoncelle  (rondes, blanches puis noires) apportent quelque changement.

 

 

Réexposition

        Introduite par un dernier crescendo, la Réexposition s’attache surtout à amplifier le premier motif en en modifiant par exemple sensiblement la rentrée : le do# initial est renforcé par un arpège aux voix intermédiaires qui se substitue aux silences – ce phénomène se reproduit  plusieurs fois, le motif étant cette fois non plus à l’unisson mais soutenu par le « trille » du violon 1 (tuilage avec la fin du développement), par le rythme de « chevauchée » et repris dans le registre aigu du violon (165 – 166) ; au total, huit mesures au lieu de cinq pour ce retour du thème introductif.

        L’énoncé du Thème 1 se voit complété par la superposition d’un motif en ronde qui vient en écho de celui du développement (disjoint cette fois), « également allusion à la cellule initiale du sujet de la fugue » nous dit Fournier : cf. la partie de violoncelle aux mesures 169 – 172 : si# do# la sol# (2 – 3 – 4 – 1).

        La réexposition du motif secondaire intervient à la mesure 184, sans le support de l’accompagnement rythmique cette fois et donc plus concentré sur la gravité mélancolique de son caractère.  On retrouve également les brèves entrées en imitation qui densifient le discours musical (mesures 199 et suivantes) mais pas le retour des thèmes précédents, Beethoven s’attardant toutefois sur un développement de la seconde partie du Thème 1 soutenu par un motif en croches qui rappelle celui du développement.

 

Coda  

        Partie la plus longue et la plus complexe du mouvement, « stupéfiante synthèse des figures et motifs du mouvement », liquidation progressive des thèmes du mouvement, elle en accentue encore la puissance du matériau musical. Exclusivement construite sur les thèmes du groupe A, elle les combine et les superpose deux à deux. Son organisation est un peu différente des parties précédentes et ne comprend pas moins de onze séquences mettant chacune en jeu un processus spécifique :

ð      Début pianissimo (mesure 262) sur le rythme d’accompagnement du Thème 1 ; à l’intérieur émerge le thème introductif, modifié, d’abord aux instruments graves puis envahissant les différents registres dans un crescendo qui conduit à son énoncé aux trois voix supérieures à l’unisson (mesures 272 - 277).

ð      Le motif secondaire (277) revient alors, rapidement développé à partir d’un motif de trois notes qui en constituait l’accompagnement dans les parties précédentes et qui, lui aussi, est construit sur la tête du Sujet de fugue (cf. mesure 290).

ð      Développement sur le Thème 1 (mesures 292 – 301).

ð      Retour du thème de l’introduction, à l’unisson, sempre forte, dont les intervalles sont encore modifiés, puis développement sur le même principe que dans la partie centrale : élargissement dans l’espace, en gerbes fulgurantes, resserrement et réduction à sa structure rythmique deux croches – noire (mesures 302 – 312).

ð      Thème 1, traité en imitations, contrepointé par le cantus firmus  du développement (313 – 328), accentué fortissimo.

ð      Deux gammes ascendantes de Ré Majeur, légères, pianissimo, qui rompent radicalement avec la densité des parties précédentes (329 et suivantes), « brise légère à caractère mozartien » (Fournier)... Cet épisode, d’une certaine manière, réinterprète une des relations tonales centrale dans l’œuvre, Ut# - Ré, que l’on trouve notamment dans la transition entre la fugue et le second mouvement. Cette rupture ne va bien entendu pas durer…

ð       La marche vers l’avant, fortissimo,  reprend son cours avec le Thème 1 soutenu par un motif en croches régulières issu du développement (336 et suivantes).

ð      Tout s’arrête une nouvelle fois sur un nouvel énoncé – piano, sur les intervalle d’un accord de septième diminuée - du thème introductif (347), suivi d’une mesure de silence.

ð      Superposition de la tête du motif secondaire, transposé plusieurs fois et développé, et de la réduction de la structure rythmique du thème introductif (349 – 366) ; Beethoven ramène progressivement ce thème dans sa structure quasi-initiale (363, 365).

 

ð      Dernière combinaison des deux thèmes principaux (367 – 376),  la forme de fragments éclatés.

ð      Poco Adagio, dans la nuance piano, Beethoven prend congé de ces deux motifs dans une paisible gravité avant de conclure a tempo, dans la violence, sur un arpège de tonique de trois violents accords.

 

 

 

 

Conclusion

        Le quatuor opus 131 présente nombre de singularités, tant par rapport à la tradition, qu’elle bouleverse à maints égards, que par rapport aux œuvres écrites par le compositeur à la même époque, loin d’être aussi novatrices. Elle marque une étape supplémentaire dans la quête d’une unité toujours plus affirmée de l’œuvre ; Beethoven pousse ici le principe de l’architecture de sonate à son point culminant. Dissymétrique, d’une grande hétérogénéité formelle à priori, l’œuvre parvient pourtant à unir l’ensemble de ses composantes dans un tout qui nous apparaît clairement en tant que tel.  

        Novatrice, cette pièce l’est encore par l’utilisation des dynamiques, au caractère quasi thématique : le sforzando initial, si souvent réexploité dans les différents mouvements, devient ainsi figure thématique à part entière.

 


[1] Jean et Brigitte MASSIN, Ludwig van BEETHOVEN, Fayard, Paris, 1967, page 720.

[2] Ces sous-titres sont ceux proposés par Bernard Fournier, Histoire du Quatuor à Cordes (de Haydn à Brahms), Fayard, Paris, 2000, pages 846 à 896.

[3] Richard Wagner, Beethoven, (1870), Gallimard, Paris, 1970, page 129.

[4] André Boucourechlief, Essai sur Beethoven, Acte Sud, Paris, 1991, page 148 

[5] in Bernard Fournier, opus cité, page 848.

[6] Bernard Fournier, opus cité, page 847.

[7] B. Fournier, opus cité, page 849.

[8] A. Boucourechlief, Essai sur Beethoven, Actes Sud, Paris, 1991, page 146.

[9] Id.

[10] B. Fournier, op. Cité, page 851.

[11] A. Boucourechlief, opus cité, page 146.

[12] Id.

[13] Romain Rolland, Beethoven – les grandes époques créatrices, Edition définitive, Albin Michel, Paris, 1980, page 1211.

[14] Le tableau ci-dessous est proposé par Bernard Fournier, op. cité, page 858.

[15] Op. cité, page 863.

[16] Romain Rolland, op.cité, page 1213.

[17] Cité par Romain Rolland, op.cité, page 1215.

[18] André Boucourechlief y voit une « synthèse de la variation beethovénienne », in Beethoven, Seuil (collection Slofèges), Paris, 1963, page 101.

[19] B. Fournier, opus cité, page 865.

[20] B. Fournier, opus cité, page 869.

[21] Opus cité, page 873.

[22] Boucourechlief, Essai sur Beethoven, op. cité, page 146

[23] B. Fournier, op. Cité, page 877.

[24] A. Boucourechlief, Beethoven, opus cité, page 103.

[25] B. Fournier, op. Cité, page 885.

[26] A. Boucourechlief, Beethoven, opus cité, page 104.

[27] A. Boucourechlief, Essai sur Beethoven, opus cité, page 147.

[28] Notice de la partition Heugel

[29] Op. cité page 890.

[30] Id.

[31] B. Fournier, opus cité, page 837.

[32] B. Fournier, op. Cité, page 901

 

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