MUSIQUES DE BALI, JAVA ET SUNDA

GAMELAN

a)      Une définition

Ethymologie : gamel , en javanais, signifie « tenir, manipuler, frapper » ; le terme évoque ainsi clairement la frappe de percussions plus spécifiquement métalliques avec un outil (mailloche par exemple)… A Bali néanmoins, le terme de gamelan présente un caractère générique et peut ainsi désigner tout ensemble instrumental traditionnel.

Définition : Ensemble d’instruments à percussions (une cinquantaine d’ensembles différents) :

-          en matériau dur (métal – bronze - , bambou, bois)

-          frappés avec un outil (maillet, mailloches, baguettes)

-          accordés sur les notes d’une échelle mélodique (carillons, claviers de lames)

-          non-autonomes -> instrument collectif mais il ne s’agit pas du même type qu’un orchestre ou qu’une batterie…

de type :clavier éclaté (lames et gong) pour être collectif

Le gamelan est originaire de Java-Centre et le terme s’applique à l’origine à quelques ensembles seulement.

Dans la composition des différents gamelans entrent des instruments à sons fixes, des tambours à membranes et des instruments mélodiques parmi lesquels on peut distinguer deux sortes de métallophones, constitués par une série de plaques de bronze posées sur une caisse (saron) ou comportant des résonateurs en bambou (gender) ; des gongs renflés, en forme de bulbe, disposés soit individuellement sur un socle (kenong et ketuk), soit en série de six à quatorze éléments sur une sorte de sommier (bonang) et de grands gongs circulaires (gong ageng et kempul) suspendus à un portique ; des cymbales fixées sur un support (kecher); un xylophone (gambang) dont les dix-sept ou vingt touches de bois sont alignées sur une caisse de résonance. Chacun de ces instruments peut être joué par un ou deux musiciens qui en frappent les éléments sonores avec des baguettes à bout feutré. S’y adjoignent un ou deux tambours (kendang ou ketipung) servant à indiquer les variations de nuances et de tempo tandis que la ligne mélodique est fournie par une vièle à deux cordes (rebab) ou par une flûte en bambou (suling). Ces deux derniers instruments sont toutefois considérés par Catherine Basset comme exogènes, tout comme la cithare qui complète parfois l’ensemble.

Les différents instruments sont assemblés en carillons, séries de petits gongs accordés, claviers de lames…

Il existe différents types de gamelans dont le nom, comme le nombre et la nature des instruments qui les composent, varient en fonction du genre de musique jouée, elle-même liée aux circonstances de leur emploi: théâtre d’ombres ou de marionnettes, danses masquées, processions, cérémonies religieuses, fêtes solennelles.

La musique est dispensée par démultiplication : dans une même unité de temps, chaque instrument produit d’autant plus de notes que son registre est aigu. L’espace sonore d’une musique de gamelan est ainsi pyramidal (cf. plus bas la symbolique).

S’ajoutent parfois (à Java notamment) , à cette formation traditionnelle du gamelan, des voix et des instruments « doux » non percussifs (cf. plus bas) pour habiller certains types de musique. A l’heure actuelle, c’est à Bali que l’on trouve les gamelan restés le plus fidèle à cette conception.

Les compositions, la diffusion :

Ce terme ne correspond pas, dans la mentalité indonésienne, à celui – très occidental – d’œuvre d’auteur ; Il est dans ce contexte utilisé pour désigner un morceau définitivement structuré et non un improvisation. De fait, on ne parle de « compositeurs » que depuis les années trente.

La création est souvent collective et la composition naît souvent, directement, sur les instruments. Très vite la pièce échappe à son « auteur » pour devenir bien commun.

Les répertoires d’une même région peuvent être interprétés sur différents gamelan, le traitement mélodique pouvant être transposé sur un « instrument » accordé différemment.

La transmission des répertoires est bien sûr orale, par imitation et imprégnation même si des notations chiffrées sont apparues de manière assez récente.

La notion de concert est récente, non traditionnelle. La musique de gamelan ne repose pas sur le concept d’ « art ». Il n’est pas rare, à Bali notamment, que plusieurs formes musicales sans lien esthétique se superposent (plusieurs orchestres jouant simultanément), donnant ainsi lieu à une véritable cacophonie : cette musique n’est en effet pas destinée à être écoutée mais seulement entendue.

b) Notion de « clavier éclaté » : éléments techniques d’interprétation

Chaque gamelan est un instrument unique, qui possède un accord particulier et définitif, et un ensemble permanent d’instruments , indivisible tant physiquement que musicalement – les gongs ne sont donc pas interchangeables – servis par un groupe éphémère d’instrumentistes. Le gamelan est conçu et réalisé dans sa globalité par un même forgeron.

Clavier éclaté :

Chaque partie est insignifiante isolément, un musicien ne peut donc répéter hors de l’ensemble ; les instruments ne peuvent être joués séparément. Certains carillons sont de plus joués par plusieurs instrumentistes en contrepoint mêlé. Cette musique peu être qualifiée d’ « atomisée » de part ce morcellement extrême des parties.

Le gamelan est un instrument collectif  de part le caractère non-autonome des instruments ; à l’inverse des instruments des orchestres occidentaux, l’instrument est ici le gamelan lui-même, un clavier éclaté en modules. Le gamelan « partitionne la partition » à l’extrême, en tâches infinitésimales, entre les instrumentistes – membres non autonomes à l’extrême ; le partage des tâches est ainsi maximal. La virtuosité résulte ainsi d’une coordination collective. Les Balinais atteignent parfois des tempi vertigineux par le partage d ‘une ligne mélodique entre des instrumentistes aux parties imbriquées les unes dans les autres. Cette technique de « tricotage contrapuntique ornemental » se nomme kotekan.

La plupart des claviers fonctionnent par paires, à Bali notamment, d’autant plus qu’entre les deux instruments il y a une légère différence d’accord qui les rends faux séparément tandis que le battement vibratoire des deux réunis donne un son très riche.

Eléments techniques d’interprétation :

·         L’étouffement des vibrations (manuellement) pour les métallophones – à vibration longue…, avant ou pendant la frappe de la lame suivante.

·         L’interchangeabilité des rôles : presque tous les joueurs peuvent se relayer aux différents pupitres. Le groupe s’auto-coordonne (pas de chef d’orchestre).

·         Pas de chef d’orchestre ; l’excellence réside dans la coordination du groupe.

·         C’est moins la difficulté technique des parties à interpréter que le niveau de responsabilité qui détermine le placement des instrumentistes du gamelan : « les maillets peuvent riper sans conséquence fatale dans une partie ornementale virtuose tandis que, si un coup de gong retentit à contretemps, toute l’architecture s’écroule » (op. cité p. 35)

c)  Structure musicale :

Ce que l’on appelle forme (bentuk) concernant cette musique est en réalité la structure « en épaisseur », la texture générale, le mode d’agencement des différentes parties instrumentales. Tout fonctionne sur un principe de stratification. Il n’y a pas de thème et don pas de traitement du thème, cette musique fonctionnant sur un mode essentiellement répétitif (cf. CD 2, 6, fin de 9, 10, 12, 16, 19, 22). Quelques un ont plusieurs « mouvements » (cf. CD 13).

La construction d’une pièce est donc par essence verticale , arborescente, pyramidale (cf. l’image de la montagne…). Le registre grave constitue le sommet de la pyramide.

Deux principaux groupes d’instruments sont à distinguer selon Catherine Basset :

-          Les instruments à percussion joués en série – accordés sur toutes les notes de l’échelle mélodique – à qui sont confiés la fonction mélodique.

-          Les instruments à percussion isolés (gongs) , non conçus en série, pour la fonction métrique ;

Etagement des parties percussives d’un gamelan (base : une mesure à 4 temps) :

La colotomie :

Le terme est issu de l’anglais colotomy et désigne la ponctuation, la métrique du temps musical ; il met en évidence la notion de cycle, de répétition obligatoire, omniprésente dans la musique de gamelan. Il s’agit en fait d’un marquage régulier du temps, chacun des points étant coloré par un instrument particulier. La colotomie est assurée, nous l’avons vu, par les instruments à percussion isolés.

Le gong le plus grave est le point du temps qui a le plus de force et d’épaisseur, de part sa résonance riche et longue mais aussi parce qu’il marque la réunion de tous les instruments.  Sa fonction est désignée par le terme ulu qui signifie chef, tête, source ; le registre grave gouverne  (fonction symbolique, cf. plus haut).

La colotomie sert de cadre à l’ensemble de la structure, comme une carrure harmonique.

Un procédé particulier : la technique en hoquet

Il dérive « mécaniquement » du principe de clavier éclaté et de celui de la complémentarité entre les différents instruments. Si les strates, si la structure est conçue de manière verticale, le traitement mélodique appliqué aux claviers est horizontal. Il s’agit en fait de complémentarité, d’emboîtement, d’enchevêtrement des formules mélodico-rythmiques : elles sont perceptibles dans les extraits suivants : CD 2 (carillon, un seul gong-une seule note par joueur), 4 (polyrythmie vocale), 5 (métallophones par paire), 6 (métallophones aigus par paire et carillon à deux gongs par instrumentiste), 8 (métallophones aigus par paire), 9 (carillon aigu de 12 gongs pour quatre instrumentistes et métallophones aigus par paires), 10 (xylophones aigus par paires), 16 (Angklungs individuels), 22, 23, 24 (carillons).

L’origine populaire du hoquet ne fait pas de doute : l’environnement rural en est rempli, avec l’entremêlement en chœur des cris des animaux et notamment des batraciens…

Le traitement du temps dans la musique de gamelan :

Cette musique apparaît comme une ligne régulière de pointillés tous joués, de durées égales. L’épaisseur de ces « pointillés » varie selon qu’un ou plusieurs instruments interviennent. A l’opposé de la conception occidentale du rythme, il n’y a aucun phrasé rythmique malgré le fait que certaines parties exécutent des rythmes syncopés, complétant ainsi la ligne régulière. Nous nous situons plutôt dans un concept de « mélodie de timbre ».

d)      Symbolique du Gamelan

Ø       Une musique fonctionnelle

La musique de gamelan est avant tout réservée à des circonstances solennelles ; le concert ou la pratique par simple plaisir ne sont pas de tradition en Indonésie. La musique, comme la danse, est plutôt conçue comme une offrande.

Ø       Rapport au sacré et au surnaturel

-         la fabrication même d’un gamelan s’accompagne de précautions rituelles  et d’offrandes. C’est un instrument « vivant » dont il faut préserver l’esprit qui habite en lui la matière.  Il fait l’objet d’une allégeance, d’un respect (on ne peut pas marcher au dessus des instruments par exemple) de peur de représailles surnaturelles.

Ø       Rapport à un idéal social, rapport à l’ordre

·         Le gamelan, image idéale du consensus, mode de décision traditionnel en Indonésie.

·         Le gamelan, symbole d’une éthique communautaire volontairement préservée, entraide collective élevée au rang d’éthique nationale (principe du maximum de main d’œuvre pour un minimum de rendement ó « taylorisme musical », C. Basset). L’interdépendance, le partage des tâches est une attitude culturelle traditionnelle en Indonésie.

·         Le gamelan reproduit en effet une hiérarchie des gongs sous la domination du gong souverain, axe et pôle d’attraction : le grand gong ou gong ageng (le plus grave).

·         L’omniprésence du binaire dans les formules rythmiques est liée à celle de la pensée dualiste qui, dans tous les domaines de la vie et dans la conception de l’univers, associe chaque élément à son opposé-complémentaire, système comparable au ying et yang chinois.

retour