Fondateur de la revue Le Monde de lart qui parut de 1898 à 1905, Diaghilev est un amateur génial et un imprésario avisé. Après avoir organisé une grande exposition, Deux Siècles de peinture et de sculpture russes , il fait connaître à Paris le chanteur russe Chaliapine, puis lance en 1909, au théâtre du Châtelet, un programme de Ballets russes dont Marcel Proust parle comme dune "efflorescence prodigieuse". Cette nouvelle forme de spectacle en appelle à la danse, à la musique, mais aussi à la peinture et bientôt à la poésie. Diaghilev sait rassembler les talents, les fusionner. Pendant 20 ans, les Ballets russes vont occuper le devant de la scène et leur inventeur veillera sans relâche à en renouveler la formule. |
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Pendant la 1ère période de leur histoire, jusquen 1912, le succès des Ballets russes tient à ce que Diaghilev accorde une égale importance à la chorégraphie, au décor, à la partition et à lexécution. La direction chorégraphique est alors confiée à Mikhaïl FOKINE, qui aspire à lunité absolue et harmonieuse de tous ces éléments. |
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Habitué à des intérieurs pâles et à un univers du ballet fantomatique, blanc et noir, le public français voit surgir sur la scène lOrient dont ont rêvé ses peintres et ses poètes. Lirruption des couleurs lenthousiasme au point dinfluencer la mode.
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Cest encore lOrient qui envahit la musique. Diaghilev choisit des compositeurs qui ont intégré toute la puissance du folklore russe: ce sont les musiciens du Groupe des Cinq, Borodine pour Le Prince Igor , Rimski-Korsakov pour Shéhérazade , puis un jeune élève de ce dernier, Igor Stravinski, à qui il commande la musique de LOiseau de feu en 1910. Ces partitions frémissantes surprennent et séduisent par leur énergie rythmique et leurs nouvelles couleurs harmoniques. |
Diaghilev a engagé des danseurs qui sortent de lÉcole impériale de ballet de Saint-Pétersbourg. Aux prouesses techniques dont ils sont capables, la sensibilité russe ajoute une fougue et un sens de lexpression dramatique qui savent émouvoir. L'un d'eux, Vaslav Nijinski, invente le bond qui est, selon Claudel, " la victoire de la respiration sur le poids " et semble suspendu en lair. On découvre alors que le danseur peut échapper à son rôle ridicule de figurant et de porteur. Sur une musique de Stravinski et dans des décors de Benois, les scènes burlesques de Petrouchka , en 1911, marquent un tournant. Cette comédie de tréteau fournit à Fokine loccasion de parodier la danse décole en présentant une danseuse de rue alors que Nijinski interprète le personnage populaire du pantin émouvant et désarticulé. |
Dès 1912, Diaghilev fait appel à des musiciens occidentaux: Ravel pour Daphnis et Chloé , Debussy pour LAprès-Midi dun faune sur un poème de Mallarmé. La chorégraphie de ce ballet est confiée à Nijinski. Pour inventer une danse moderne, le danseur se tourne vers lAntiquité. Luvre apparaît comme une suite dimages statiques, dune tristesse poignante. De profil, pieds nus, avec des mouvements et des gestes stylisés à lextrême, les nymphes forment une frise vivante inspirée des vases grecs, mais, couché sur le voile que lune delles abandonne, le faune fait scandale. On lui reproche un geste obscène, et aussi la rupture avec lacadémisme. Ramassé, puissant, désarmé, entre deux nymphes insaisissables, Nijinski interprète en fait son propre personnage. Il ne sengage pas avec moins de violence dans Le Sacre du printemps , réglant sa danse en rêvant à un primitivisme dont bien des artistes partageaient le goût dans la Russie de 1910 autour du peintre Kazimir Malevitch. Le scandale du Sacre nest pas simplement musical. La chorégraphie y apparaît comme une sauvage " danse de Caraïbes, de Canaques... " On y rampe " à la manière des phoques ", disent les chroniqueurs, et ils traitent de dément le chorégraphe, qui aspire à la modernité et qui sombrera dans la folie. Sur le plan chorégraphique comme sur le plan musical, Le Sacre du printemps occupe une place comparable à celle des Demoiselles dAvignon de Pablo Picasso en peinture. Là encore, sous le prétexte dune reconstitution archéologique de danses antiques, Nijinski a rompu avec la conception académique de la grâce. À la position ouverte il oppose la position rentrée: la pointe des pieds en dedans. Au buste droit il substitue le corps courbé vers la terre. Tourbillon de rouge et de blanc sur le fond vert du décor, Le Sacre du printemps est un manifeste dénergie brutale. |
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Après sa rupture avec Nijinski en 1917, Diaghilev engage un nouveau chorégraphe, Léonide Massine, qui monte en 1917 Parade sur un argument de Jean Cocteau et une musique dErik Satie. Les costumes de Picasso, véritables sculptures cubistes, et la partition, qui utilise le revolver et la machine à écrire comme instruments, scandalisent un public désorienté par un ballet où les personnages ne sont plus les interprètes dune histoire. Dans le compte rendu quil fait de ce spectacle, Guillaume Apollinaire emploie pour la première fois le mot: surréalisme. Massine aura plus de succès en 1919 avec La Boutique fantasque , dans les décors dAndré Derain, puis avec Le Tricorne , dont la musique a été commandée à Manuel de Falla. En 1920, il donne Pulcinella de Stravinski.
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En 1921, une brouille avec Massine conduit à engager la sur de Nijinski, Bronislava Nijinska, qui dirigeait une école de danse à Kiev. Inspiré par la musique de Stravinski, son chef-duvre Noces (1923) nest pas sans rappeler, par ses lignes franches et son argument un rite érotique , lambition profonde de Nijinski. |
Diaghilev a réuni, d'une manière très éclectique, les meilleurs peintres de son temps: Picasso, Derain, puis Braque, Matisse, Utrillo, Chirico, Rouault, mais aussi les naïfs, les constructivistes, lavant-garde russe, les surréalistes (Ernst, Mirò) de sorte qu'on lui a souvent reproché de laisser la peinture prendre le pas sur la danse. |
Diaghilev a compris que la danse romantique était frappée de stérilité. Rompant avec lacadémisme, il permet sa renaissance en ballet pantomime Petrouchka , ou en une forme révolutionnaire puissante Le Sacre du printemps , ou proche de labstraction Les Sylphides . En se soumettant à cette rigueur, le ballet rejoint les audaces musicales et picturales du XXe siècle. |
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