1ère  PARTIE : LE TIMBRE, ELEMENT CLE DE LA PIECE

 

Ø      1- la richesse des timbres et des modes de jeu

-         L’effectif instrumental

La nomenclature des timbres présents dans Le plein du vide ne présente de fait – hormis la présence du dispositif électroacoustique, et encore ! - que peu d’originalité, reflet assez commun de la conception contemporaine des musiciens savant en matière d’utilisation d’un dispositif orchestral : orchestre de solistes avec hypertrophie du groupe des percussions. 

De la même manière, le paramètre « timbre » se voit conférer – phénomène désormais courant – un rôle structurel sur lequel nous allons nous attarder un peu plus loin. 

Le tableau ci-dessous propose une nomenclature de l’effectif instrumental de l’œuvre et la répartition des timbres dans ses différentes sections : 

 

Deux phénomènes apparaissent clairement à la lecture de ce tableau :

-          l’importance des instruments à cordes frottées, très présents tout au long de la partition – nous verrons en revanche en quoi leur utilisation se distingue fortement du rôle qui leur est traditionnellement révolu. 

-          La grande diversité d’utilisation des timbres des percussions donne une couleur le plus souvent particulière, une véritable identité, à chacune des sections. 

Mais, plus encore que les instruments eux-mêmes, c’est l’immense richesse des modes de jeu employés qui caractérise Le plein du vide dans le domaine du timbre. 

 

-         Modes de jeu employés 

Nous ne tenterons pas d’être exhaustif tant les modes de jeu des différents instruments se révèlent riches et variés : en voici, par familles de timbres, les principaux. 

Cordes frottées :

-          harmoniques (artificielles : la quarte du son fondamental est effleurée, le son entendu est ainsi le fondamental deux octaves plus haut)

-          glissandi

-          trilles

-          trémolos

-          sul ponticello (près du chevalet) : son métallique

-          sul tasto (sur la touche) : son détimbré

-          pizzicati – contrebasse, fin de la partie B : notes détimbrées – jeu percussif

-          sons répétés très rapidement :

Le registre des cordes est presque systématiquement suraigu ; l’écriture utilise abondamment les micro-intervalles (quarts de tons). 

Vents :

-          avec sourdine (de deux sortes :  bol et plunge)

-          harmoniques (mes. 44 aux Bois) :

-          trilles

-          pizz sur les touches de l’instruments (jeu percussif) 

-          sons répétés très rapidement (trémolos)

 

Percussions :

-          roulements

-          bols tibétains joués au dessus de la timbale

-          trémolos (vibraphone, marimba)

-          effet de pluie (Partie C)

 

-         Rôle structurel de ces timbres

Pour l’essentiel, l’organisation structurelle de l’œuvre peut être définie à partir de textures timbrales beaucoup plus qu’autour de motifs stricto sensu. Même l’ouverture de la pièce peut être perçue de la sorte : plus qu’un « motif » de trompette, le premier élément structurant est bien l’enchaînement d’un crescendo des timbales et de son conséquent, la note violemment répétée de la trompette. Si elle réapparaît de manière isolée tout au long de la pièce, c’est en tant que timbre et non de motif. 

Les principales textures timbrales qui structurent l’œuvre :

a)       la note violemment répétée – trémolo – de la trompette (qui réapparaît parfois aux cors)

b)       les sons tenus aux vents (intervalle proche de la quarte augmentée)

c)       les lignes « mélodiques » des cordes dans le suraigu, en harmoniques et en glissandi

d)       les sons répétés des bongos

e)       le jeu percussif des bois

f)         l’ostinato de timbre des tambours de bois

g)       Les courts motifs aux Cordes sul ponticello

Autre élément structurant dans le domaine du timbre, l’utilisation des différentes couleurs de percussions- le tableau ci-dessus éclaire particulièrement ce point : 

-          prédominance des timbales au début et à la fin de l’œuvre

-          quasi exclusivité de la présence du tambour de bois dans la section centrale

-          présence plus sporadique de quelques timbres emblématiques de sous-parties : marimba et vibraphone I-C), bols tibétains (début de II et de III), crotales (milieu de III), bongos (début de II et de III). 

 

 

Ø      2- le rôle des dynamiques et du silence

-         nuances et procédés dynamiques

La forme d’onde de l’ensemble de la pièce indique bien, en premier lieu, l’organisation d’ensemble des dynamiques : 

La nuance pianissimo y apparaît prédominante - chacune des grandes parties de l’œuvre début dans la nuance pianissimo extrême -, le climax de la pièce (fin de la seconde partie) clairement identifiable.

Le principe de rupture (en général, fin fortissimo puis reprise de la section suivante pianissimo) se révèle ainsi être un élément dynamique essentiel au plan structurel. 

 

-         le caractère quasi thématique du crescendo

Cet élément dynamique apparaît en effet, dans l’ensemble de l’œuvre, prépondérant :

-          c’est par un vaste crescendo, répété trois fois, que s’ouvre la pièce (roulement de timbales – motif de trompette et/ou tenue des vents)

-          les trois sections de la partie A se concluent sur un crescendo (répété en fin de 2ème section : 39 – 44 puis 45 – 50)

-          Le climax de l’œuvre fonctionne selon ce même principe

-          Avant de se refermer dans le silence, un ultime crescendo intervient en fin de 3ème partie (repris deux fois là aussi), de plus faible intensité, avec le retour des roulements de timbale. 

 

Une analyse plus fine de l’écriture de la pièce fait également apparaître une précision extrême dans l’utilisation des dynamiques : chaque « motif » inclut une dynamique qui lui est propre, le crescendo très fréquent néanmoins : motif de trompette (seconde présentation, lors de sa répétition mesure 11), sons tenus dans le grave (trombone, contrebasse), sons répétés violemment sur une même note … 

-         rôle des silences

Le rôle conféré dans l’œuvre au silence contribue en tout premier lieu au caractère général de la pièce : en lien avec la prédominance de la nuance pianissimo avec laquelle il se confond parfois  – cf. ci-dessous -, le silence participe de ce climat feutré qui caractérise nombre de moments forts de l’œuvre.

Le silence se voit, surtout, confier un rôle structurant très fort : 

-          ouverture et fin de la pièce (évidemment… mais…)

-          mesures de silence le plus souvent entre certaines sections ou sous-parties (mesures 6, 16, 147) avec ou sans tuilage de la part d’instruments le plus souvent isolés.

-          Silence de l’essentiel de l’orchestre à l’apparition d’une nouvelle texture (25-26, 51-52, 76 et suivantes, 149)

La notion de silence peut enfin être élargie aux pianissimi extrêmes, qui ouvrent la plupart du temps les différentes sections du Plein du vide : le signe particulier qu’emploie Xu Yi – cf. par exemple l’ouverture de la pièce, mesure 1, à la timbale) semble ainsi indiquer que le son doit progressivement « sortir du silence »… 

 

 

Ø      3- Spatialisation et résonance

Nous nous attarderons plus particulièrement ici à définir le rôle et les différentes fonctions du dispositif électroacoustique présent dans Le plein du vide. 

-         le rôle des pistes électroacoustiques

Il s’agit en tout premier lieu pour Xu Yi de donner une dimension spatiale forte à l’œuvre ; le schéma ci-dessous, qui précise les recommandations du compositeur en matière d’implantation du dispositif, en rend parfaitement compte : 

Mais c’est dans l’écriture même des lignes et textures diffusées par les pistes magnétiques que résident les éléments les plus forts qui donnent au Plein du vide toute sa dimension spatiale : 

·         Effet renforçateur : ans nombre de cas, les pistes ne « font que » proposer une reprise quasi identique des motifs et textures joués par les instruments, mais selon un processus d’entrées en imitations (cf. plus bas) : le début de l’œuvre en est sur ce point emblématique ; on retrouve par exemple ce phénomène lors des jeux percussifs des Bois (à partir de la mesure 54) ou dans la partie centrale (ostinato du tambour de bois). 

·         Rôle signalétique - rappels : Elles agissent parfois de manière indépendante de la texture instrumentale en proposant des rappels d’éléments déjà entendus (motif initial de trompette aux cors, pistes 5 à 8 donc haut-parleurs disposés dans la salle : mesures 33 puis 38-39, 42… trompettes mesure 47, bongos mesures 84-85 puis 87-89 et 147-148)

·         Effet de contraste : par leur absence (début de la 3ème partie, après le rappel des bongos à partir de la mesure 149 jusqu’à 156 où réapparaît l’effet renforçateur, des crotales cette fois). Contraste sonore et spatial encore, dans la 3ème partie, avec l’utilisation exclusive à partir de la mesure 163 jusqu’à 169 des pistes diffusées sur scène (1 à 4)

·         On peut aisément imaginer, enfin, l’effet produit lorsque l’on entend l’œuvre dans de véritables conditions « électroacoustiques » par l’arrivée des sons stridents des cordes dans le suraigu (climax de la pièce, mesures 144 – 146) par les bandes magnétiques seules alors que les instruments se taisent ! C’est le seul cas de ce type dans la partition, hormis les toutes dernières mesures – 198-199.

 

-         les phénomènes de résonance

·         spectre sonore

Nous évoquons là, à travers l’écriture en imitation et en entrée successives sur les pistes magnétiques des mêmes sons (ou textures) que ceux produits par les instruments, une approche spectrale de l’écriture de l’œuvre. Ces entrées successives, et très rapprochées, semblent vouloir construire comme un spectre harmonique du son original. Les deux tableaux ci-dessous schématisent l’organisation de ces entrées, sur le plan des durées, des deux éléments initiaux :

Entrées des timbales mesures 1 à 3

 

Entrées du motif de trompette mesures 4 et 5

 

Mesure No 4 : 5/4

Mesure à 1/4

 

1er temps

2e temps

3e temps

4e temps

5e temps

 

Trompette

 

 

 

 

 

 

Piste 1

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Piste 2

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Piste 3

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Piste 4

 

 

 

 

 

                                         

Piste 5

absente

Piste 6

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Piste 7

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

1/16e de temps

Piste 8

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                         

 

·         résonances et transformation du son

Un exemple suffira à préciser le rôle que jouent parfois les pistes magnétiques dans les phénomènes de résonance et de transformation du son qui se révèlent caractéristiques de l’ensemble de l’œuvre : les sons tenus des Vents

·         mesure 26 à 28 : tenue du cor anglais et de la clarinette, effet de résonance – prolongation - des pistes magnétiques à partir de la fin de 27 sur les mêmes sons.

·         Mesure 31 : ré# ¾ de ton (clarinette) et la# (cor anglais) ; la résonance proposée par les pistes magnétiques transforment cette fois les sons en les haussant d’un quart de ton.

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