MUSIQUES DE BALI, JAVA ET SUNDA

COSMOGONIE DE LA MUSIQUE

A BALI, JAVA ET SUNDA

 

Les Indonésiens, pour évoquer leur pays, évoquent non seulement leur « Terre » mais leur « Terre et eau » ; la mer qui entoure ce îles a toujours joué un rôle prépondérant dans la vie quotidienne de part les communications qu ‘elle permet. Ces mots « terre » et « eau » mettent ainsi à jour deux univers opposables dans les domaines, social, économique, politique, religieux, cosmologique et même mental.

La solide architecture musicale du contrepoint de la musique de gamelan semble célébrer, dans son abstraction arithmétique, l’ordre sociologique indo-bouddhique.

a)      Musique et religions

L’islam et les gamelan

è     les gamelan sekaten dans lesquels la mélodie devient l’épine dorsale (balungan), qui donnent à une musique auparavant ultra répétitive et cyclique une direction plus linéaire. D’une manière plus générale, l’influence de l’islam encourage l’intégration du chant et des instruments mélodiques. Dans le sacré royal, le Verbe et la littérature étaient encore tabou. L’islam tente d’offrir la parole divine à tous.

è      L’aigu semble, dans les musiques de gamelan comme dans nombre de cultures, lié au surnaturel

è     A Sunda, seul les ensembles d’ Angklung secoués sont considérés comme sacrés, associés qu’ils sont aux anciens rites de fertilité. Le contrepoint en hoquet s’avère ainsi être le symbole du pilage collectif lors des tâches agricoles. 

è     Le kacapi , indissociable du texte, Verbe divin, « verbe de vie des formules magiques et des récits pantun », devient chant classique mis en exergue dans la musique de gamelan. La mélodie sundanaise semble  

è     L’aspect fortement cyclique de la musique de gamelan est à rapprocher de la religion hindoue, à la réincarnation et au retour cyclique des âmes sur terre. Le temps linéaire de la conception occidentale est ici considéré comme destructeur de l’ordre originel.

b)      Gamelan et Pouvoir, Gamelan et organisation sociale

En Indonésie, il est inconcevable qu’un rituel se déroule sans musique et, souvent, sans danse. Chaque village possède ainsi son ou ses groupes de musiciens

Ø       Le Gamelan, un patrimoine institutionnel

Ces orchestres traditionnels constituent des éléments très forts de patrimoine et de prestige pour une communauté, pour un royaume ; ils sont d’ailleurs la propriété des collectivités : palais, village, temple… Très coûteux et fabriqués par des fondeurs spécialisés, ils font partie des trésors familiaux. C’est également un patrimoine communautaire, les musiciens n’étant pas professionnels et le plus souvent bénévoles.

Ø       Symbolisme : gamelan et Pouvoir

Le Royaume, en Indonésie, se centre sur la montagne (ou le volcan) qui est associée à la personne du Roi.

La Gamelan reproduit en effet une hiérarchie des gongs sous la domination du gong souverain, axe et pôle d’attraction : le grand gong ou gong ageng (le plus grave).

Ø       Gamelan et organisation sociale

La technique en hoquet (cf. plus haut) est bien une volonté délibérée de partage égalitaire des tâches, du travail sonore, symbole d’une interdépendance totale entre les hommes. Il correspond de manière évidente aux valeurs communautaires de la société paysanne des riziculteurs. Le pilonnage du riz donne d’ailleurs à la musique les fondements de ses formules rythmiques (exemples à Bali : CD 2, 4). Le hoquet est égalitariste alors que la colotomie créée un hiérarchie entre les instrument. Le gamelan comme portrait de la société indonésienne toute entière… « Le gamelan est une mise en pratique et une représentation idéalisée de l’ordre social et cosmique global » (C. Basset in L’éducation musicale, Conclusion).

 

c)      Musique et Ordre du Monde

Bali :

L’univers balinais est un modèle d’ordre ; son histoire a en effet préservé à la fois l’ordre vertical – la hiérarchie de la noblesse -, et l’ordre horizontal des communautés populaires. Le kotekan et son contrepoint, la colotomie  en constituent les exemples symboliques les plus clairs. La norme collective règne sans partage, légitimée par un ordre cosmique qui ignore l’ego. L’expression individuelle ne trouve pas sa place dans une musique dans laquelle les musiques intimistes sont quasi inexistantes. La musique de gamelan révèle ainsi un monde neutre, précis, homogène, dépersonnalisé et égalitaire. Tout aspect sentimental de la mélodie est évacué. Nous nous situons dès lors dans les domaines de la contrainte, de l’obéissance à une discipline collective, dans un univers codifié à l’extrême.  

La progression de la musique de gamelan, en densification et resserrement des strates qui constitue un mouvement centrifuge autour du gong, s’avère bien évidemment symbolique de l’organisation sociale du Pouvoir.

A Bali enfin, on notera que le chant reste une évocation des ancêtres qui légitime le pouvoir de l’élite à travers la mise en musique de la littérature indo-javanaise.

Tout, à Bali, dénote une conception du monde qui a horreur du vide, aussi bien dans sa dimension cosmologique – tous les éléments remplissent les cases d’une classification permanente et universelle – que dans sa dimension sociale : refus de l’individualisme, du silence, préférence pour l’action rituelle collective au mysticisme solitaire. Les balinais, à travers leur musique de gamelan, cherchent en fait à maîtriser par l’ordre culturel un équilibre universel qui est pour eux le devoir essentiel des humains.

Sunda :

Les populations de celle région se laissent davantage aller à l’extériorisation des émotions individuelles et collectives : improvisation, parole poétique conçue comme un exutoire émotionnel, ornementations vocales : l’individu y est souvent glorifié. 

« Il n’est pas surprenant que Bali ait préféré l’homogénéité des percussions et la coordination du hoquet, tandis que Java lui accorde aujourd’hui moins d’importance qu’à l’hétérogénéité approtée par l’autonomie relative des parties ajoutées purement mélodiques, puisque ces sociétés ont évoluées en sens contraire : l’une, dos à la mer, regard vers ses montagnes, restant fidèle à l’ordre ancien (…), l’autre, ouvrant ses côte au monde, sa société au pluralisme, son destin à d’autres croyances (…), sa pensée à l’éclectisme et à l’individualisme. »

(C. Basset in L’éducation musicale, Conclusion).

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