L’Indonésie, éléments historiques et sociologiques
a)
Une
définition
b)
Notion
de « clavier éclaté » : éléments techniques
c)
Symbolique
du Gamelan
Traditions
musicales spécifiques à Bali, Java et Sunda
Introduction :
pourquoi des traditions spécifiques ?
a)
Genres
musicaux
b)
Instruments
et techniques spécifiques
c)
Gamelan
et musique vocale
Cosmogonie
de la musique à Bali, Java et Sunda
a)
Musique
et religions
b)
Musique
et Pouvoir, musique et organisation sociale
c)
Musique
et Ordre du Monde
Situation géographique
Fiche technique
L’Indonésie
est en réalité un archipel de plus de dix mille îles qui couvrent plus de
cinq mille kilomètres d’Ouest en Est.
Près
de 185 millions d’habitants : il s’agit du quatrième pays le plus
peuplé du monde. La démographie galopante aggrave les choses : la population
de l’Archipel s’accroît, chaque année, de plus de deux millions de bouches
nouvelles à nourrir et la régulation des naissances n’a pas encore donné
plus de résultat qu’en Inde.
L’islam
est, bien entendu, la religion majoritaire (80% de la population), ce qui fait
de l’Indonésie, avec le Pakistan, le premier pays musulman du monde. Mais il
s’agit souvent, surtout au centre de Java, d’un islam dit statistique, qui
est en réalité un syncrétisme hindouiste. l’État indonésien se veut
pluriconfessionnel et reconnaît officiellement, depuis le décret présidentiel
de 1965 (donc sous le régime de Sukarno), six religions seulement: islam,
protestantisme, catholicisme, hindouisme, bouddhisme et confucianisme. . Les
Indonésiens tiennent, par-dessus tout, à leur personnalité et à leur
culture, à leur synthèse originale entre le fonds indigène, l’apport
hindouiste et l’islam.
Cet
archipel est le pays des épices, de ressources naturelles qui paraissent
illimitées : du riz au caoutchouc, de l’étain au pétrole
l’Indonésie est, depuis 1966, sous un régime militaire.
Quelques éléments historiques
On
distinguera trois grands ensembles géographiques, entrés successivement dans
l’histoire: d’abord l’île de Java, avec ses satellites inséparables,
Madura et Bali. C’est là que l’archéologie a révélé la grandeur des
premiers royaumes indianisés, c’est là qu’est née la culture javanaise
dont l’originalité s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui. Puis à
l’ouest, Sumatra, dont le destin, longtemps lié à celui de la péninsule
malaise, surtout à l’époque des grands sultanats (XVe-XVIIIe s.),
n’en a été séparé que par le fait colonial (formation d’une «Malaisie
britannique» distincte des «Indes néerlandaises»). Enfin, au nord et à
l’est, les îles de Kalimantan (Bornéo) et de Sulawesi (Célèbes), ainsi que
l’archipel des Moluques et celui des petites îles de la Sonde, îles très
diverses, mais qui ont en commun d’apparaître au même moment (XVIe s.) dans l’histoire, sous le
double impact de l’islam.
Nous ne nous intéresseront dans ce document qu’à ce qui concerne notre sujet, à savoir le premier ensemble (Java et Bali pour l’essentiel).
Ø
Indianisation
et premiers R
oyaumes
indo-bouddhiques (Vème – Xème
siècle)
L’influence
de l’Inde ne cessera de se faire sentir jusqu’au XIVe siècle,
tant dans la religion (hindouisme ou bouddhisme), dans l’iconographie des
temples que dans la littérature, souvent inspirée des épopées indiennes, de
même que dans la langue (sanscrit).
Cette
indianisation s’effectue pour l’essentiel par les voies du commerce
maritime. L’Inde va ainsi profondément marquer les conceptions sociales,
religieuses et philosophiques (le calendrier, l’imprégnation des langues et
de la littérature) ; mais ni les arts de la scène ni la musique ne lui
doivent leur esthétique. Dès le 1er siècle, des Royaumes indianisés
naissent où hindouisme et bouddhisme cohabitent même s’ils ne sont attestés
qu’au Vème siècle. Une civilisation fortement indianisée s’épanouit
ainsi dans la région de Mataram au centre de Java
du VIIIe au Xe siècle (cf. les sanctuaires de Borobudur (seconde moitié du
VIIIè) et de Prambanan (début Xème siècle), temples-montagne à
l’architecture symbolique (cf. plus bas). Il
ne faut toutefois pas minimiser les originalités proprement indonésiennes,
tels la conception du Roi-Dieu, le culte de la montagne, de nombreux éléments
d’architecture ou de décoration qui ne se trouvent pas en Inde.
Ø
MajaPahit et
la suprématie de Java-Est
(Xème – XVème siècle)
Les centres de Pouvoir se déplacent à cette époque vers Java-Est ; fondé à la fin du XIIIème siècle, le Royaume de Majapahit fait la conquête de Bali en 1343 et étend son pouvoir au delà des frontières actuelles de l’Indonésie. Il est considéré comme le grand royaume civilisateur et unificateur de l’Indonésie même si peu de traces subsistent de son rôle et de sa vie culturelle. Les rares témoignages confirment tout de même la pratique des carillons de gongs (cf. bas-reliefs du temple de Candi Panataran (XIVe siècle) et sa rangée de huit petits gongs horizontaux à mamelon frappés par quatre hommes).
Cet
empire tombe en décadence fin XVe siècle puis s’effondre en 1527,
probablement sous les coups du Sultanat de Demak.
Bali,
indianisée elle aussi, est alternativement indépendante et dominée par
Java-Est à partir du Xe siècle.
Ø
L’ Islamisation et les
Sultanats côtiers
À
partir du XIVe siècle
et surtout du XVe,
deux phénomènes ont une influence déterminante sur l’évolution de
l’archipel : l’introduction de l’islam et l’arrivée des Chinois. À
Java, la période est marquée par l’apparition sur la côte de petites
communautés musulmanes, dont les progrès entraînent peu à peu le déclin
puis la chute de Majapahit.
Le XVIe siècle
est le temps de la grande expansion de l’islam à Java.
Les sultanats côtiers vont ainsi prendre le pouvoir à l’intérieur des terres de l’île de Java pendant deux siècles (XVe – XVIe) au cours desquels l’islamisation se généralise. Le royaume de Pajajaran, dernier résistant hindouiste à Sunda, tombe en 1579.
Les principaux propagateurs de la foi islamique à Java sont pour l’essentiel des marchands chinois.
Un second royaume de Mataram va renaître au début du XVIIe siècle ; pourtant islamisé, de nombreux traits culturels de l’indo-bouddhisme retrouvent une place et le patrimoine royal intègre des gamelan chargés d’une valeur magique.
Dans un premier temps, les religieux musulmans se sont montré hostiles à la musique instrumentale ; devant l’attachement des javanais à leur art, certains ont au contraire choisi d’en faire la propagande : ainsi sont nés les gamelan sekaten qui scellent l’alliance de la royauté javanaise et de l’islam. Un rituel javano-musulman (Sekaten), reliant le palais à la mosquée pour l’anniversaire de la mort du Prophète, est ainsi institué.
Ø
Présence occidentale – la
colonisation hollandaise
Les
Portugais ont tout d’abord commencé à commercer dans l’archipel à partir
de 1509 et vont longtemps dominer la partie Est ; la Hollande fonde ensuite
Batavia (forteresse
construite par les Néerlandais à l’ouest de l’île) en 1619. Dans
la seconde moitié du XVIIe siècle, le grand commerce musulman décline
peu à peu. Le contrôle du réseau passe pour une bonne part à la Compagnie
hollandaise des Indes occidentales. La Hollande conquiert les îles de
l’Est puis Java au XVIIIe siècle.
La formation des «Indes néerlandaises» date du XIXe-début
du XXe siècle.
La
politique des hollandais va indirectement influencer les arts : en résistance,
les javanais expriment leur pouvoir dans des manifestations artistiques, dans
des rituels magiques.
La colonisation de Bali a commencé tardivement , au XIXe siècle ; les autochtones opposèrent une résistance héroïque et les hollandais optèrent pour une colonisation douce et la protection de la culture balinaise, contribuant ainsi à faire de l’île un « musée de traditions ».
Appauvris
par la colonisation, les palais furent contraints de céder aux collectivités
villageoises l’entretien des gamelan
et des troupes artistiques. Ainsi se confirme à Bali un phénomène rare de
« culture savante populaire », les balinais faisant preuve d’une
forte volonté de conservation de leurs pratiques traditionnelles.
La
fondation de la République Indonésienne remonte à l’après seconde guerre
mondiale (1945).
Ø
Sunda, une histoire
particulière
Le pays Sunda représente la partie Ouest de Java, couvrant près d’un tiers
de la superficie de l’île. Java-Ouest recouvre trois types de régions :
une côte Nord ouverte au commerce international, des plaines fertiles (on y
trouve de riches territoires agricoles) où s’établissent les royaumes et la
jungle, faite de reliefs escarpés, où vivent des communautés isolées. Le
pays sundanais s’est ainsi développé en vase clos tant sur le plan politique
que culturel.
Sunda fut elle aussi hindouisée dès les premiers siècles de l’ère chrétienne. A partir du Vème siècle, Java-Ouest abrite plusieurs petits royaumes indo-bouddhiques dont Pajajaran (1333-1579) qui résista longtemps aux musulmans. La vie des sundanais s’est heurtée à trois puissances expansionnistes : Java (une domination souvent humiliante), l’islam et l’Europe. L’islam s’est imposé par la force sans pour autant faire disparaître la culture antérieure (cf. Pajajaran et son souverain Siliwangi) à partir du XVème siècle. Dans un second temps, l’ingérence hollandaise fut particulièrement forte à Sunda.
Ø
Betawi
(Batavia), Sunda et Cirebon, les trois centres culturels de Java-Ouest.
On peut distinguer, pour simplifier, deux types
essentiels de sociétés indonésiennes : les sociétés agricoles, surtout
rizicoles, et les sociétés commerçantes, nées dans les grands ports, au
contact des routes d’échanges et des étrangers. Un
bon exemple du premier type est donné par Mataram.
Le territoire est formé de plusieurs petites vallées ou terroirs fertiles,
encastrés entre les sommets volcaniques et reliés les uns aux autres par un réseau
de routes en terre dont le bon entretien est une des conditions de l’unité du
royaume. La cellule de base est le village (désa)
qui regroupe plusieurs «feux» (les recensements dénombrent les cacah,
ou chefs de familles imposables). Le chef de village est généralement élu par
les paysans eux-mêmes : ce type de démocratie se retrouve à travers toute
l’histoire de Java.
D’un type très différent et pour ainsi
dire opposé, les États marchands qui se sont constitués au XVIe et
au XVIIe siècle
sur les rives de l’archipel sont des comptoirs tournés vers l’extérieur,
presque sans arrière-pays, des villes pratiquement nouvelles, qui poussent sur
des sites naguère inconnus.
L’islam allait trouver dans ces sociétés
cosmopolites une excellente terre où s’implanter. Il servit de miroir commun
aux marchands et aux souverains. Dans chaque région, loin de s’imposer
brutalement, il s’adapta au substrat. Les premières mosquées, ignorant les
modèles occidentaux, adoptèrent le toit à plusieurs étages, caractéristique
d’une architecture antérieure. On ne saurait trop insister sur l’importance
de cette lente «unification» à la fois linguistique et religieuse. Les progrès
de l’islam contribueront à préparer une unité, dont l’idée existait, on
l’a vu, dès l’époque de Majapahit,
et que les Néerlandais ne firent que confirmer en organisant, au cours du XIXe et
surtout du XXe siècle,
le réseau administratif des «Indes néerlandaises».
Bali, en revanche, est restée fidèle à
l’ancienne religion qui mêle des éléments hindous aux croyances
ancestrales dites animistes ; l’organisation sociale traditionnelle qui
en découle, dont rituels et pratiques artistiques sont indissociables, a également
été conservée. La présence européenne beaucoup plus précoce et longue à
Java explique pour partie ce phénomène.
Les
gongs, les claviers, l’utilisation musicale du métal ainsi que le concept de gamelan
, les danses et les costumes sont l’apanage d’une aire culturelle plus
large que la seule Indonésie, qui correspond grossièrement au Sud-Est
asiatique rizicole. Cette aire culturelle n’est ainsi pas homogène et se
compose de plusieurs cultures régionales. L’influence culturelle de l’Inde
n’est pas très prégnante (sauf dans les références littéraires), même
s’il reste quelque chose des conceptions indiennes de l’univers, du pouvoir
et de la stratification sociale (les castes) ; s’y fait sentir tout
autant une influence chinoise. Rien n’évoque toutefois les gamelan
dans les documents iconographiques avant le Xème siècle.
A partir de cette époque se développe une très importante littérature indo-javanaise - qui sera préservée et enrichie à Bali après l’islamisation de Java – qui inspire encore aujourd’hui la plupart des thèmes des arts plastiques et scéniques de Java, Sunda et Bali. Les œuvres sont ainsi adaptées des grandes épopées indiennes : Ramayana et Mahabbarata. Apparaissent plus tard des poèmes – assez longs – en langue et en métrique javanaise construits sur les hauts faits de héros princiers, des faits et intrigues de Cour.
D’une manière générale, un fait marquant des traditions musicales et culturelles à Java, Bali et Sunda est l’absence de fossé prononcé entre art savant (qui fut un art de Cour) et art populaire.